dimanche 22 janvier 2012

Vingt-deux !

Cette interjection argotique était utilisée dans certains corps de métiers. Dans Le Dictionnaire historique des argots français, Gaston Esnault, 1965, on la trouve dans le vocabulaire des typographes (1874) "Méfiez-vous, voilà le patron". Ce chiffre renverrait au corps des lettres, le 22 en étant un nettement plus gros que celui utilisé. Pendant l'absence du prote (autrement dit le contremaître), les ouvriers pouvaient enfin parler. Ce cri "Vingt-deux!" signalait son retour et mettait fin aux bavardages peu tolérés dans les ateliers. 
Elle appartient aussi au vocabulaire des charpentiers (1912), dans le sens de "Gare aux pieds !" quand ils jetaient une poutre à terre.
Puis apparut l'expression "22, v'là les flics", chez les malfrats et les gamins de Paris, à la fin du XIXème, faisant peut-être allusion au nombre de boutons sur la vareuse des policiers (11 apparemment ) qui patrouillaient toujours par deux.

L'étymologie reste obscure. Certains linguistes pensent que cette interjection serait la déformation de "Vingt dieux", juron très populaire jadis (et encore aujourd'hui dans certains villages de  Normandie profonde).

Toujours est-il que le "Vingt-deux, v'là les flics", a eu de beaux jours devant lui: aujourd'hui, il a une variante "Vingt-deux, v'là les keufs". Mieux ! Il a des "frères" dans certaines langues : sedici (16, chez les maçons italiens), twenty-three skidoo (Vingt-trois, fous le camp chez les Anglais ou Laisse -moi tranquille, dans le slang  de l'Amérique des années 20).

Cerise sur le gâteau : un verbe vingt-deuser (attesté aussi en vingt-dieuser, 1919), signifiant "donner l'alerte" serait dérivé de cette petite interjection qui méritait bien un billet...

vendredi 20 janvier 2012

Enigme 35

J'ai logé dans cette maison spéciale jusqu'à ce que je commette un acte irréversible. C'était fatal :  le mépris avec lequel on me traita n'avait pas d'autre issue. 

Mon histoire - relatée dans les journaux de l'époque - a inspiré un célèbre écrivain qui l'a immortalisée dans un roman, expliquant mieux que je ne l'aurais fait moi-même les raisons de mon acte, raisons qui dépassent largement mon histoire personnelle. 

Cette maison, dont la fonction ne fut pas toujours celle qu'on lui donna au moment où j'y ai séjourné, existe encore aujourd'hui. Elle a été le lieu de quelques faits divers, encore plus spectaculaires que le mien.

Qui suis-je ? De quelle maison et de quel roman s'agit-il ? 

Vous pouvez, si le coeur vous en dit, m'envoyer vos réponses à xtinemer@gmail.com  avant dimanche soir. Je peux aussi vous donner des indices si cette énigme, qui ne me semble pas si facile que cela, vous résiste.

Bon week-end à vous!
Réponse :
L'heureuse gagnante est Catherine. Bravo à toi ! Tu es incollable...
Il s'agissait de Claude Gueux, un roman de Victor Hugo. La maison spéciale est la Centrale de Clairvaux. C'était autrefois une abbaye...

mercredi 18 janvier 2012

Volapük

Volapük, volapük, vous avez dit volapük ?


lundi 16 janvier 2012

Va...

Va, je ne te hais point, s'exclame Chimène. Litote exemplaire  dans les traités de figures de style.
Va, cours, vole et me venge. C'est dans ces termes que Don Diègue pousse son fils à le venger.

Je viens de relire Le Cid : j'avais presque tout oublié de ce beau texte, sauf l'ennui profond que j'avais éprouvé quand je l'avais étudié au lycée, en 4ème sans doute. Pourtant en le relisant, je me suis aperçue que certains vers étaient profondément ancrés en moi.  Pourquoi ? C'est la question que je me suis posée, n'ayant pas le souvenir non plus d'avoir appris quelque tirade de cette tragi-comédie. Pourquoi donc connaître certains vers comme si je les avais appris comme les tables de multiplication " à la mitraillette ", comme le voulait  une de mes grands-mères ?

Je crois avoir trouvé  un début de réponse à cette interrogation et il y a là de quoi réjouir notre Pierrot national, Rouennais qui plus est! Ses vers sont passés dans le langage courant ou ont été empruntés, parodiés, dans la littérature .

J'ai entendu dans mon enfance des proches qui connaissaient  le texte sans jamais cependant avoir passé un Master 2 en littérature dramatique ou en analyse dramaturgique les prononcer souvent, à propos de ces tout et de ces rien qui font une vie. Quand nous abandonnions un jeu qui nous lassait, nous avions droit à  
Et le combat cessa faute de combattants 
ou  quand ma grand-mère  n'arrivait plus à mettre le fil dans le chas d'une aiguille, elle bougonnait  
O rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie ! 
Pourtant ma grand-mère n'a pas usé ses robes sur les bancs de l'école! Ce qui tend à prouver que même sans avoir jamais lu cette oeuvre, beaucoup de Français connaissent ces vers sans savoir leur origine.Et combien de fois ai-je entendu, lors de manifs, des "camarades" dire  
Nous partîmes cinq cents; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.

Gosse, j'ai toujours cru que ces vers étaient des proverbes  et les pages roses du Larousse ont sans doute conforté cette impression...  

Et puis Pagnol y a mis son grain de sel et son Rodrigue, as-tu du coeur ? a fait le tour de France.Moins connu, Georges Fourest qui a parodié bien des textes "canoniques"a su faire dire à Chimène dans son recueil poétique La Négresse blonde 
"Dieu ! soupire à part soi la plaintive Chimène
Qu"il est joli garçon l'assassin de Papa !"

Tous ces vers vous rappellent à vous aussi, j'en suis sûre, des épisodes de votre vie ou des personnages qui vous ont côtoyés et citaient Corneille le plus naturellement du monde.  Mais cette" tradition" dépasse notre génération. Je m'en réjouis. Ma fille  -qui devait avoir à cette époque 13 ans- eut un enseignant de lettres qui s'appelait Monsieur Auvage.  Que croyez-vous qu'il arriva ? Il fut baptisé en deux temps trois mouvements par ces coquins de mômes,  "Monsieur O rage !" ou "Monsieur O désespoir !" selon son humeur...

Corneille a eu sa revanche sur l'Académie . Elle a tant critiqué sa pièce qu'il cessa d'en écrire pendant trois ans...On lui reprocha d'avoir contrevenu aux règles (pourtant très récentes) de la tragédie, le manque de pudeur et le comportement indécent de Chimène, l'incorrection de certains vers et patati et patata. N'empêche, Va... est toujours là !

samedi 14 janvier 2012

Enigme 34

Dans ce roman, l'auteur relate sous un autre nom, que je ne vous livrerai pas  (Google en ferait une bouchée!) un épisode historique qui permit à de nombreux politiques et journalistes influents de faire fortune.

Cet épisode eut lieu dans le dernier quart du XIXème siècle: il  est né d'une dette contractée par un pays dont nous avons beaucoup entendu parler en 2011, auprès du nôtre. C'est Jules Ferry qui par son intervention, en ordonnant l'invasion de ce pays a fait remonter le cours des titres et a fait la fortune des souscripteurs qui les avaient achetés quelques mois avant à bas prix, alors que notre pays se détournait ostensiblement dudit pays.
De quel épisode s'agit-il et dans quel roman est-il évoqué?

Comme à l'habitude, vous pouvez envoyer votre réponse à xtinemer@gmail.com avant lundi soir.
Passez un bon week-end, déjà entamé, je sais...

Réponse: 

Les heureux gagnants sont (par ordre d'apparition): Catherine, ZapPow et Calyste. Bravo à vous trois!

Il s'agissait de la dette tunisienne qui déboucha sur le Traité du Bardo, et qui est nommée dans le roman de Maupassant, Bel-Ami, "l'affaire du Maroc".

jeudi 5 janvier 2012

Vache

A Jacqueline qui m'a  vachement éclairée...

Voilà un mot que je ne pouvais pas esquiver  dans mon abécédaire, non seulement parce ma région  en regorge -encore que ce soit davantage la Basse Normandie- mais parce que du point de vue de la langue,  la vache a produit un "champ" de vocabulaire, amusant, varié, historique, argotique  très impressionnant!
"La vache" cet exclamatif n'a de secret pour aucun d'entre nous!  C'est bien de la surprise, voire de l'admiration que traduit cette exclamation qui désarçonne bien des étrangers qui viennent étudier ou travailler en France.  En découle l'adverbe "vachement" utilisé à partir des années 30 dans le sens de "très, beaucoup" en concurrence avec "vachtement" et même avec "vachte", adjectif réinterprété en adverbe "C'est une vachte de belle bagnole"... Mais le "vachement" de notre jeunesse a bien foutu le camp, il est aujourd'hui supplanté par l'agaçant "trop"!

Bien sûr, il y a les "vacheries", qui ne désignent plus, depuis belle lurette, les troupeaux de vaches (XIIème siècle) ou  les étables à vaches (XIVème siècle). "Vacheries",  donc pour veuleries, car "vacher", un verbe employé par Flaubert signifie "être lâche", puis "vacheries" pour désigner des personnes méchantes ou des situations désagréables , avant d'arriver à ces objets de mauvaise qualité, sur le modèle porcin de "cochonneries".

Il y en a tant d' expressions qui renvoient à cet animal mal vu dans notre société, mais sacré en Inde! Qui ne connaît pas "pleuvoir comme vache qui pisse", "manger de la vache enragée", "être une peau de vache" (déguisée en fleur), "être une vache à lait",   "donner un coup de pied en vache", "dormir comme une vache". On préfère le "plancher des vaches" au ciel (sauf le septième évidemment), on vit mieux en période de vaches grasses qu'en celle de vaches maigres! Il y a aussi la vache qui ne retrouverait pas ses petits,  celle qui regarde passer les trains! Sans parler de l'expression qui recommande à chacun son métier et les vaches seront bien gardées! L'amour vache, la vache folle, la queue de vache, la vache à lait... pauvre bête! 

Mais je vous laisse le meilleur pour la fin. Je suis vache? Je le sais!

L'expression Mort aux vaches a une drôle d'histoire: ce n'est pas la phrase dite par un farfelu qui en voulait aux vaches! D'ailleurs les vaches sont bien plus avenantes que les flics car on connaît le sens de cette expression qui en veut à tout ce qui porte uniforme. Non, tout cela n'a rien à voir avec les bonnes grosses vaches (ces trois derniers mots m'exposent à vos critiques, tant pis! Les vaches, elles, me comprennent). Non, donc! En fait l'expression remonte à 1870, l'époque de la guerre franco-prussienne. A Paris sur les postes de gardes allemands était écrit le mot WACHE, qui veut dire "garde", "sentinelle". Comme le Français n'est pas très doué pour les langues - c'est vachement raciste ça, mais bon passons!- et qu'on ne peut pas dire qu'ils portaient à l'époque un amour fou pour l'occupant, que croyez-vous qu'il arriva? Wache devint vache et comme ce fut facile, à chaque fois qu'on passait devant un de ces postes de s'exclamer (ou de dire entre ses moustaches) "Mort aux vaches"! Plus tard, cette expression devint un slogan anarchiste, une façon de se refaire une (noble) virginité.

Ainsi donc les vaches , qui en 1870 paissaient et ruminaient tranquillement dans la plaine de Nanterre, furent mêlées contre leur gré, à une sordide histoire de règlements de comptes entre deux peuples. A la même époque, on désignait aussi les Allemands sous le nom de "cochons" (voir la nouvelle de Maupassant Le Cochon de St Antoine). Pendant la guerre suivante, ce sera le tour des doryphores, bien moins sympathiques, je vous l'accorde, que nos douces ruminantes...  Une histoire vache, en somme!

lundi 2 janvier 2012

Virgile

Virgile, un alter Homerus ? L'Enéïde, un décalque de L'Iliade et L'Odyssée?

Il y a de quoi y perdre son latin, effectivement. Ce grand poème de 10 0000 vers,  composé de 12 chants, retrace les aventures du héros troyen Enée : son vieux père sur le dos, son fils à la main, il part pour fonder, selon les voeux des dieux,  une nouvelle Troie, quelque part en Hespérie (Italie). Tout comme Ulysse, Enée erre avec ses compagnons, surmonte des épreuves, vit des aventures multiples et des sortilèges amoureux, séjourne au royaume des morts. Voilà pour les 6 premiers chants.Ensuite, dans les six derniers, on entend le bruit des armes, on découvre avec lui sur son bouclier, l'histoire de la ville qu'il va fonder, depuis Romulus et Rémus jusqu'à Auguste.  Une épopée plagiat de L'Iliade et LOdyssée alors? Pas si sûr, tant les subtiles différences entre  ces deux chefs d'oeuvre suggèrent une signification nouvelle. Car qu'on ne l'oublie pas, il faut chanter la gloire de Rome de ce premier siècle avant JC en l'associant à la prestigieuse Troie et  diviniser  l'empereur Auguste lui-même, en lui inventant une filiation avec Enée, fils d'Anchise certes mais aussi de Vénus! Ce n'est pas n'importe qui, cette déesse: c'est la fille de Jupiter en personne! Et quand on n'est que le petit-neveu du grand César, ce n'est pas rien d'affirmer qu'on sort de la cuisse de Jupiter! Il avait de quoi roucouler, notre Auguste, il entrait dans la légende. Une épopée de propagande donc? Oui, certainement, mais une épopée tout de même qui mérite le détour. 


Lire L'Enéïde aujourd'hui?  Oui, mille fois oui, à condition de trouver une bonne traduction propice à nous faire rêver car pour certains d'entre nous il reste le souvenir douloureux des versions latines...C'est ce qu'arrive à faire je crois l'éditrice Diane de Selliers dans une publication de 2009, que j'ai eu l'occasion de feuilleter il y a peu: la traduction en vers libres de Marc Chouet est agréable à lire et la reproduction des fresques de Pompéï, de peintures romaines, de mosaïques pour illustrer les épisodes de ce beau poème est remarquable. Un peu cher, mais quand on aime, on ne compte pas!