samedi 31 mars 2012

Vieillir

A Jo

Jo, une amie,  m'a envoyé ce matin cette vidéo. Si vous avez dix minutes, regardez-la.
 
Pendant mes études, on m'a appris que les bons sentiments ne faisaient pas la bonne littérature. Pourtant, il est des plumes qui donnent de la hauteur et de la force aux bons sentiments parce que la justesse de leurs mots et leur sincérité clouent le bec à tout commentaire ironique ou à tout rire sardonique.

Cette jeune lycéenne a remporté le concours de plaidoirie organisé par le Mémorial de Caen, en janvier dernier.
Je ne suis pas prête d'oublier les trois chaises...


samedi 24 mars 2012

dimanche 11 mars 2012

Vicomte de Valmont

Sitôt sa parution  en 1782,  cet ouvrage provoqua un tel scandale que l'auteur fut mis à l'index, forclos des salons de la capitale et menacé dans sa carrière militaire. Et rien ne s'arrangea après la Révolution : ce chef d'oeuvre du roman français  fut même interdit par les tribunaux pendant le dix-neuvième siècle. Au vingtième,  il y eut la conspiration du silence : Lagarde et Michard lui consacrent sept lignes, à côté de Rivarol et de Restif, dans un article intitulé "Littérature et moeurs à la veille de 1789". Cela n'empêchera pas le succès de ce roman : ce recueil de lettres qui sent le soufre fait scandale et rapporte à Choderlos de Laclos, lors de la première édition, l'équivalent d'une année de sa solde d'officier. Plus près de nous, on ne compte pas les préfaces élogieuses qui consacreront ce roman comme un classique et modèle indépassable de la  forme épistolaire. Preuve en est : les oeuvres complètes de Choderlos figurent dans le catalogue de  la  Pléiade.




Les Liaisons dangereuses, c'est un échange de 175 lettres entre une dizaine de personnages, les plus grands scripteurs étant la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont. Parmi toutes ces lettres il en est une qui m'intrigue : c'est celle que Valmont n'a pas écrite à la Présidente, celle qui va pourtant la tuer et dont nous, lecteurs, ne savons rien. Enfin presque rien. Pas la preuve en tout cas, signée de sa main. Même si nous connaissons la teneur de cette lettre (lettre 141), Choderlos ne porte pas à notre connaissance la lettre qu'a rédigée Valmont. C'est normal me direz-vous, puisque c'est la Merteuil qui la lui souffle perfidement...  Excédée par les sentiments profonds que Valmont, son ancien amant, porte à la Présidente, sans que le principal intéressé en ait lui-même conscience, elle lui suggère  de recopier une lettre qu'une amie d'un homme de sa connaissance lui proposa pour le délivrer de l'amour d'une femme avec laquelle il n'avait pas le courage de rompre. Inutile donc de la faire réécrire. Le lecteur n'est pas un idiot.

Cette lettre présentée comme modèle de rupture la voici :
« On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute.
Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.
Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.
Il suit de là, que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.
Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.
Je sens bien que te voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre amant, comme j’ai fait une autre maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute.
Adieu, mon ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. »

Ce qui renchérit le caractère stupéfiant de l'absence de cette lettre, c'est que la Merteuil  elle aussi n'en revendique pas la paternité. Choderlos veut nous faire croire qu'aucun de ces deux libertins n'est responsable de ses actes: l'une parce qu'elle n'est pas l'instigatrice de cette lettre -enfin, nous ne sommes pas des enfants de choeur ! Valmont non plus-, l'autre parce qu'il n'y a aucune preuve à charge contre lui.

On comprend cependant que Valmont l'a écrite. Dans les termes exacts ? Sans doute ! La lettre 142 rédigée par Valmont, adressée à Merteuil, le confirme  mais contre toute attente, Valmont semble inquiet " J'espérais pouvoir vous envoyer ce matin la réponse de ma bien-aimée: mais il est près de midi, et je n'ai encore rien reçu." 
Cette lettre que ni la Marquise, ni le Vicomte n'endossent, scelle d'une façon implacable leur destin: la Présidente meurt de chagrin, Valmont comprend qu'il aimait cette femme et après avoir informé le tout Paris du méchant jeu auquel il jouait avec la Merteuil, se laissera tuer en duel. Enfin, l'impitoyable Marquise, défigurée, ruinée, s'exilera... pour une lettre de trop.

jeudi 1 mars 2012

Va-t-en guerre

Sorti en 1957, le film de Kubrick ne pourra être vu par le public français qu'en 1975. Si  la censure bat son plein entre 1950 et 1960, Les Sentiers de la gloire n'est pas soumis à la censure officielle française. Mais lors de sa sortie en Belgique, il a été  violemment attaqué par des militaires français et d'anciens combattants offusqués par l'attitude de l'armée français. Ces attaques, relayées par des ligues morales et familiales françaises et amplifiées par des maires qui  interdisent le film dans leur commune, ont conduit les distributeurs américains à l'autocensure. La France est engagée dans la sale guerre d'Algérie et les faits relatés dans le film - tous des faits réels- n'honorent pas l'armée. 

Ce film n'est pas un film de guerre (on ne voit aucun Allemand ), il ne peut être réduit non plus à un film contre la guerre: il n'y a qu'une seule scène d'assaut. C'est résolument un film contre l'armée: c'est un combat entre les officiers et les soldats d'un même camp, les premiers allant jusqu'à la mise à mort des seconds. Sans scrupule. Sans raison. Pour l'exemple. Avec une parodie de justice, comme le présente la scène suivante



Je viens de voir ce film , un de Kubrick que je n'avais pas encore vu. A cette heure où l'on parle beaucoup d'un film français en noir et blanc -assez réussi -qui rend hommage au cinéma muet américain en traitant un sujet léger, il est bon de revoir un grand film américain, en noir et blanc lui aussi, mais parlant,  très habilement filmé et très maîtrisé, qui défend des idées... pas légères du tout.


« J'aurais préféré que les hommes soient des soldats américains, mais rien de comparable aux mutineries de tranchées qui ont eu lieu dans les Flandres en 1917 dans l'armée française et dans l'armée britannique n'est arrivé aux Américains. [...] Alors pourquoi pas des troupes britanniques ? C'est aussi très simple. On ne peut pas faire parler l'anglais à des acteurs américains : ni en Angleterre ni aux États-Unis les gens n'y croiraient, et ils ne peuvent pas non plus parler l'Américain et passer, en Angleterre ou aux États-Unis, pour des soldats britanniques. Alors pourquoi ne pas prendre des acteurs britanniques ? Nous étions obligés d'avoir des interprètes américains pour obtenir le financement des sociétés de distribution américaines.
Pourquoi pas les Allemands ? En faire une histoire de l'armée allemande ? Cela aurait été absolument incompatible avec le thème de l'histoire, qui tirait son ironie d'un acte inhumain accompli au nom de la nécessité : "La fin justifie les moyens", "Il faut gagner la guerre." Je ne crois pas qu'en dehors de l'Allemagne il y aurait eu un public pour se laisser émouvoir par un tel argument, si les troupes avaient été allemandes.
Mon but en faisant ce film était de faire un film anti-guerre (encore qu'une pareille simplification des thèmes et des histoires paraisse toujours un peu absurde) et si c'est la France qui a été choisie, c'est pour les raisons que je viens de dire. »
Stanley Kubrick,
lettre à L'Express, 5 mars 1959.