Portrait de l'artiste dit Le Désespéré, Courbet 1844-1845
Le joueur d'échecs. C'est sa dernière nouvelle, une nouvelle testament, une nouvelle où le contexte contemporain est explicite: le docteur B. se fait arrêter la veille du jour où Hitler entre à Vienne (le 13 mars 1938). Il gérait les biens de l'Église et de grandes familles riches. Il est enfermé comme tous les personnages influents de la république autrichienne dont on peut tirer profit dans le plus grand hôtel de Vienne, "Le Métropole". Un hôtel réquisitionné par la Gestapo qui mène des interrogatoires sans tortures physiques.
Un régime de faveur? Non, une cage dorée où s'exerce à un haut degré la cruauté la plus raffinée: une extrême solitude, "jour et nuit, les yeux, les oreilles, tous les sens ne trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul en face de sois-même, avec son corps et quatre ou cinq objets muets: la table, le lit, la fenêtre, la cuvette", des interrogatoires qui tournent à la torture mentale: l'interrogé ne sait pas ce que ses juges savent et la peur de dénoncer taraude le prisonnier avant, pendant et après chaque interrogatoire. Cette pression puissante et insidieuse n'aura pas raison du docteur B. qui y échappe en découvrant un manuel d'échecs. Il lui sauvera la vie, au risque cependant de devenir fou.
A l'occasion d'un voyage sur un paquebot, quelques années plus tard, il accepte de jouer une partie-et une seule- contre un champion d'échecs pour savoir s'il est capable de jouer "en vrai", lui qui n'a joué que mentalement pendant les mois de sa captivité. De cette partie le docteur B. sort gagnant, mais contre toute attente, il accepte d'en jouer une autre.
L'intensité de cette nouvelle croît au fil des pages; la lecture est riche, multiple. Lecture historique bien sûr, allégorique, psychologique, mais aussi le sentiment toujours présent-pressant-que Zweig écrit là sa dernière oeuvre, conscient de le faire. Il était pacifiste, avait déjà traversé une grave crise morale après la déclaration de guerre de 1914. La deuxième guerre mondiale en anéantissant des dizaines de millions d'hommes avec une barbarie incommensurable, le plonge dans un état de désespoir: son pessimisme en l'homme est le plus fort. Peu de jours avant son suicide, il écrit à sa première femme:
A l'occasion d'un voyage sur un paquebot, quelques années plus tard, il accepte de jouer une partie-et une seule- contre un champion d'échecs pour savoir s'il est capable de jouer "en vrai", lui qui n'a joué que mentalement pendant les mois de sa captivité. De cette partie le docteur B. sort gagnant, mais contre toute attente, il accepte d'en jouer une autre.
L'intensité de cette nouvelle croît au fil des pages; la lecture est riche, multiple. Lecture historique bien sûr, allégorique, psychologique, mais aussi le sentiment toujours présent-pressant-que Zweig écrit là sa dernière oeuvre, conscient de le faire. Il était pacifiste, avait déjà traversé une grave crise morale après la déclaration de guerre de 1914. La deuxième guerre mondiale en anéantissant des dizaines de millions d'hommes avec une barbarie incommensurable, le plonge dans un état de désespoir: son pessimisme en l'homme est le plus fort. Peu de jours avant son suicide, il écrit à sa première femme:
"Ou bien la tempête va finir un jour, ou bien on en finit soi-même."
9 commentaires:
Ce que c'est que la mémoire...
Il me semble avoir lu ce roman de Zweig mais il a tellement longtemps que je n'en suis même plus sûr.
Puisque c'est l'objet de votre billet, me reviennent de très, très vagues souvenirs d'Amok, La Pitié dangereuse et La Confusion des sentiments que j'ai lus dans les années 80.
Merci de m'avoir rafraîchi la mémoire...
(Petit oubli de mise au point : Aucune de vos pages de commentaires ne se réfère au billet. Elles sont toutes intitutées "Sans titre"))
La folie décrite dans ce livre par Stefan Zweig est encore gravée dans ma mémoire bien que les détails soient flous.
La première fois que j'ai mis une image sur ce mot- folie- c'était lorsque, très jeune encore, on m'avait expliqué qu'enfermer une personne dans une pièce sans angle, une tour par exemple, c'était la rendre folle à coup sûr.
Ici c'est l'absence qui va ronger le héros. L'absence de son, d'image, de nourriture intellectuelle. Quelle torture. Pire qu'une ces tortures physiques qu'on voit souvent dans les films, surtout ceux de guerre, pire que ces images sanglantes. S'imaginer ce que vivait le personnage à partir de l'histoire de Zweig, c'était pire que tout.
Ensuite on savoure la lumière du jour, la voix des autres, la musique. Et on n'a plus vraiment envie d'apprendre à jouer aux échecs!
Comme je vous l'écrivais, c'est le souvenir -heureux, fort- que nous avons de nos lectures qui est essentiel.
Ce joueur d'échecs, il était pour moi aussi dans un passé très lointain. Jusqu'à ce que je le propose à une classe d'élèves de treize ans, curieuse et lectrice: pour le coup, j'ai la mémoire très fraîche! Le livre a fait un ras de marée chez beaucoup d'entre eux: je crois avoir compris que ce livre les avait fait grandir un peu. Il touche à l'intime -aux peurs primaires- , et en même temps fait mesurer la dose de la barbarie de l'époque.
Ce livre m'a valu des heures enthousiasmantes , partagées avec des jeunes, ce qui n'est pas si fréquent que cela!
J'essaie de régler les quelques problèmes auxquels je me heurte dans la maîtrise de cette plate-forme. Merci de m'avoir signalé le problème!
Ah! Marine!Comme je suis contente que tu sois venue ici! Je me doutais bien que Zweig -un de tes chouchous- te ferait réagir mais je ne savais pas qu'il ferait sortir le loup du bois!
Ton commentaire reflète bien l'enthousiasme durable, intense- que provoque la lecture de ce petit roman, même (ou surtout?) sur des esprits jeunes. L'enfermement -moral, physique- qui y est décrit et qui occupe tout l'espace narratif est insoutenable en effet.
Ma mémoire flanche, mais j'ai le souvenir d'avoir vu il y a des lustres un film - ou un documentaire, je ne sais plus - dans lequel une jeune mère enfermée plusieurs jours dans une pièce aveugle avec son bébé, sans la possibilité de lui donner à boire ni à manger, tombait folle, folle jusqu'à étouffer son enfant qui hurlait de plus en plus, faute de soins. Le dénuement, le noir, les cris, l'impossibilité de se raccrocher à une idée avaient raison d'elle. Affreux! M. B. lui, s'en sort un peu mieux...
"Jeunes de 13 ans" : je pense à Paul, qui l'a lu à cet âge, cet été. Et aimé. Ca me semble irréel.
Si on m'avait dit...
Merci Christine.
On lit certains livres trop tôt et d'autres auraient mérité qu'on les découvrît plus tôt!
Paul est un grand lecteur: je n'ai aucun mal à l'encourager à lire ce petit (grand!) chef d'œuvre.
Deux souvenirs marquants de ce texte : les huis clos d'abord, celui de la cellule, puis celui du paquebot et enfin celui du cerveau de notre joueur. Ensuite la virtuosité de la mise en abyme des récits. Chez Zweig, tout est bon !
Suite à des manipulations parfaitement ratées (!) l'Ane au nyme ne tient pas à le rester et essaie de signer par un autre moyen. Excusez moi !
Claire,
Tout d'abord bienvenue! Je suis très contente de vous voir ici! Je sais votre culture, votre ouverture d'esprit et votre curiosité intellectuelle!
Oui tout est bon chez Zweig en effet, pour parodier un dicton très franchouillard! Tout est incroyablement construit, dans ses bouquins;rien n'est laissé au hasard, même dans ses biographies historiques où il a l'art de rentrer dans les recoins de l'inconscient des personnages étudiés.
Pour la "popote" technique,vous y êtes presque arrivée! Sauf que votre lien vers votre blog est inopérant...
Dans la première fenêtre vous écrivez votre prénom ou pseudo et dans la fenêtre suivante (facultatif), vous mettez l'adresse de votre blog, si vous le désirez, bien sûr! (peut-être y a t-il une erreur de copie de l'adresse). Faites un teste si vous le voulez, j'effacerai ensuite.
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