mercredi 2 mars 2011

Zeffirelli

J'avais 25 ans et une méconnaissance totale de l'opéra. Voire une certaine distance avec l'art lyrique.  Il me semblait artificiel et désuet. Je n'avais pour tout bagage que quelques airs du Trouvère en tête et quelques images dans les yeux, ainsi que les derniers lieder de Strauss qu'un copain d'études passait en boucle lors de nos pauses de révision de concours. C'était peu ! La magie n'opérait pas vraiment.

Cette année-là, il y avait à l'affiche d'un cinéma caennais La Traviata,  film de Franco Zeffirelli: comment, pourquoi  me suis-je retrouvée assise ce soir-là dans cette salle, je ne saurais le dire . Peut-être mon esprit de contradiction ou cette volonté d'aller voir par moi-même un film dont on disait tant de mal dans les milieux "intellectuels"? Peut-être aussi ma connaissance de La Dame aux camélias de Dumas qui me rassurait ? Ce sont les seules explications que je trouve aujourd'hui.


Je suis sortie presque deux heures après complètement chamboulée, renversée et ... comment dire "atteinte"?  L'image m'avait en quelque sorte autorisée à entrer dans ce monde qui me semblait si hermétique, si réservé à des happy few

L'opéra raconte des histoires et comme toute lectrice, j'ai des représentations mentales des personnages, des situations, des lieux, de l'époque .  Les atouts  de ce film - sa mise en scène brillante, son rythme virevoltant, le souci du détail dans les costumes et le décor-  ont fait naître un réel plaisir à écouter des airs que je connaissais déjà ou que je découvrais.  Je ne sais si aujourd'hui ce film me séduirait autant mais peu  importe ! Ce film , je peux le défendre bec et ongles,  simplement parce qu'il m'a donné accès à l'opéra et me l'a fait aimer.

Deux ou trois ans plus tard, je suis allée voir Amadeus de Milos Forman, et j'ai été définitivement conquise ! Amadeus, au contraire de La Traviata, ne met pas en scène un opéra mais rend compte de la vie de Mozart : toutefois - et j'y ai été très attentive et sensible -, on y voit Mozart passionné par l'écriture et la mise en scène de ses opéras.  Mozart, un génie musical hors du commun, aimait aussi la traduction visuelle de sa musique ! Cela me semblait très important. Il n'y avait donc pas la musique d'un côté, suprême, première, à écouter pratiquement les yeux fermés et de l'autre un spectacle inutile, stérile ; il y avait à égalité une musique incarnée dans  une représentation visuelle, une interprétation donnée, choisie, réfléchie.

 Les critiques et le spécialistes mozartiens ont hurlé à l'époque, relevant les fantaisies avec la réalité, dégoisant le parti pris de Forman pour nous représenter "son" Mozart. Voilà de quoi souffre précisément l'opéra. 
On lui reproche des mises en scènes fantaisistes, des gesticulations qui éloigneraient de la "pureté" musicale. A quoi bon voir, puisqu'il suffit d'écouter -même les yeux fermés- et d'être touché !  Je trouve que ce sont précisément ces interprétations qui donnent aux oeuvres du répertoire lyrique leur pérennité:  chaque époque doit se réapproprier, en fonction de ses codes, de son Histoire, de ses courants esthétiques,  des oeuvres écrites il y a parfois bien longtemps. L'art lyrique, avec toutes ses ficelles, sa machinerie, ses décors, ses costumes et aussi ses chanteurs qui sont aussi aujourd'hui des acteurs, permettent à cette musique-là de vivre encore et de faire les délices non seulement de celles et ceux qui se laissent distraire par leurs yeux mais aussi de celles et ceux qui ne sont pas nécessairement sensibles à cet art, abusivement appelé complet,  et qu'ils peuvent écouter "sans" les images. 

Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse!

13 commentaires:

Flocon a dit…

"quelques images dans les yeux"

"L'image m'avait en quelque sorte autorisée à entrer dans ce monde "

"comme toute lectrice, j'ai des représentations mentales"

Je comprends tout à fait que l'image permette, voir facilite l'entrée dans un monde jusqu'à présent lointain et peut-être apparemment inhospitalier.

Il se trouve que j'ai vu le Don Giovanni de Losey à sa sortie mais je n'en suis nullement ressorti bouleversé. J'avais vu un film, voilà.

Chacun son parcours en effet, chacun sa sensibilité et son mode d'accès au monde.

Pour ce qui est du Amadeus de Forman j'en avais vu un très court extrait en V.O dans lequel Tom Hulce se tourne vers l'Empereur je crois et lui dit : But that's impossible avec un accent américain à couper au couteau.

Désolé, toute crédibilité possible s'est évanouie à la seconde même. A quoi cela tient...

Après tout, son ou image, peut-être est-ce une question de prévalence d'hémisphère droit ou gauche?

Cadeau

Et puisque vous aviez noté un certaine retenue dans mes billets en voici un où il est question de Richard Strauss...

"Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse!"

C'est bien flacon que vous vouliez écrire Christine? ;-)

Flocon a dit…

Tenez Christine, derrière son masque d'insensible brute, il y a un cœur qui bat chez flacon...

Calyste a dit…

La semaine prochaine, je vais assister à Cosi. Je m'en fais d'avance un grand plaisir!

Christine a dit…

Oui Oui, Flo(a)con ! Pas d'hésitation !

Merci pour les deux cadeaux musicaux et le billet sur les "émotions/sensations" esthétiques est très intéressant: je refuse seulement cette idée que la "grâce" serait l'apanage de la jeunesse! Moi à 20 ans, j'étais très conne, vous savez! Rires!

Pour l'histoire de Hulce qui prononce un "But that's impossible" avec un accent à couper au couteau, j'avoue en avoir absolument rien à faire!Ça ne m'a pas choqué - je n'ai même rien remarqué... Quand un de mes concitoyens s'adresse à moi et "commet" des erreurs de syntaxe ou de prononciation pour exprimer sa pensée, dois-je ne rien écouter au nom de la correction de la langue que j'exige pourtant de mes élèves?

Enfin,je vous commente depuis assez longtemps me semble-t-il pour savoir que sous son masque d'insensible brute, il y a un cœur qui bat chez flacon... !

Christine a dit…

Calyste,
C'est une belle soirée en perspective donc! Et puis Mozart, quel cadeau !
Je suis allée revoir en novembre dernier Les Noces, dans la mise en scène de Strehler qu j'avais déjà vue en 2000 (je suis une grande malade, je sais !). C'est chaque fois un plaisir renouvelé!

Curieusement, je n'ai jamais "vu" Cosi fan tutte. Profitez-en bien! Vous nous direz, hein?

Flocon a dit…

Je me permets de renvoyer à cet article relatif à la Tétralogie qui est actuellement représentée à l'Opéra Bastille.

Article où je lis ceci :

"On pourrait dire (...) que la meilleure façon de suivre une représentation de Wagner, c'est de l'écouter, les yeux fermés. Si complète est la musique, si puissante est sa prise sur l'imagination, qu'elle ne laisse rien à désirer ; et ce qu'elle suggère à l'esprit est infiniment plus riche que tout ce que les yeux peuvent voir."

Nous sommes au moins deux à considérer la chose du même oeil (évidemment).

Bon, pas de malentendu, il ne s'agit nullement de "convaincre" ni de gâter son plaisir à qui que ce soit, juste d'exposer une opinion.

Christine a dit…

Non, Flocon, je ne me sens pas "provoquée" et vous ne me gâchez pas mon plaisir. Il est vrai que pour Siegfried, entendu et vu il y a une semaine, les costumes n'avaient rien de sensas, certains chanteurs non plus n'étaient pas très convaincants et que la vedette, c'était effectivement la musique et Philippe Jordan.

Cependant, les représentations que chacun se font de l'oeuvre varient et c'est aussi une dimension intéressante que de comparer les mises en scène: on ne tire pas toujours le gros lot ! Ce spectacle-là visuellement n'était pas convaincant certes, mais il ne m'a pas empêchée de me régaler et c'est bien cela l'essentiel, non ?

Je ne suis pas toujours emballée par ce qui est proposé du point de vue de la mise en scène mais je me dis que la force de ces oeuvres lyriques c'est qu'elles dépassent largement les époques, les modes qui y transparaissent . Elles sont des témoignages vivants , discutables certes mais qui au moins ont le courage d'exister d'une façon singuilère.

Merci de m'avoir transmis cet article intéressant et ravie de voir que vous partagez les idées d'un certain Romain Rolland, que j'ai lu... je n'ose pas le dire... à 10 ans, sans vraiment le vouloir: mon institutrice en effet nous lisait Jean-Christophe deux ou trois fois par semaine, quand nous étions sages! Nous écoutions religieusement. En évoquant ce souvenir, je ne peux m'empêcher d'imaginer la tête de mes élèves si je leur proposais en "récompense" une telle lecture !

Flocon a dit…

Jean-Christophe!

Du diable si je me souvenais l'avoir lu! J'avais 13 ans sans doute et inutile de vous dire que je n'en ai pas le moindre souvenir.

--> Wiki

J'ai lu ça moi???

Figurez-vous que ce sera le thème de mon prochain billet. C'était déjà à peu près en place et voilà qui apporte de l'eau à mon moulin.

Anonyme a dit…

Ah Xtine, super que tu as les 'recent comments' au sidebar ! Sinon j'aurai manqué ce poste.

J'adore ce film. Je l'ai vu trois fois. La voix de Felicity Lott ici je trouve tellement belle.

Christine a dit…

C'est Flocon qui m'a suggéré de mettre les commentaires récents dans la colonne d'outils. Merci à lui!

J'y avais bien pensé mais je trouvais que c'était un peu présomptueux de le faire quand on débutait un blog ! Je n'étais pas sûre de trouver des lecteurs/ lectrices ou des commentateurs/ commentatrices comme vous tous et vous toutes!

Voilà, c'est donc fait et cela me donne le plaisir de découvrir un commentaire de ma copine du bout du monde qui aime, a aimé et aimera indéfectiblement l'Amadeus de Forman! (j'ajoute que dans un tout autre registre Vol au-dessus d'un nid de coucou, du même réalisateur est aussi un film culte pour moi)

Christine a dit…

Flocon,
Quand je dis que la culture est générationnelle, je ne me trompe pas trop. Nous sommes au moins deux à avoir lu Jean-Christophe et deux à ne plus nous souvenir de rien! Rires!

Flocon a dit…

Christine,

A la réflexion je me dis qu'il n'est pas possible que j'aie lu tout Jean Christophe. Je suis sûr de l'avoir commencé (c'était en Livre de Poche, 2 volumes double avec les si merveilleuses illustrations de couverture) mais j'ai dû laisser tomber après une centaine de pages.

Plus aucun souvenir si ce n'est que je me souviens avoir été en situation.

Pareils pour les Thibault que j'avais entamés au même âge. Je n'ai pas dû dépasser les 200 premières pages.

Le vol au-dessus d'un nid de coucou m'avait sérieusement secoué aussi en 1979 et me convainc plus encore de la nature exclusivement psychologique de nos goûts et affections.

Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement?

Anonyme a dit…

Merci Anijo de m'avoir appris l'existence de Felicity Lott --> Wiki puis Andreas Scholl.

Ça me donne une idée de billet mais je vais encore passer pour un killjoy :-(