mercredi 16 mars 2011

Zulma

Zulma est avec Aurore, l'une des héroïnes les plus jeunes du roman de Jean Giono Que ma joie demeure, publié en 1935. Elle tient une place toute particulière dans cette fiction, même si sa présence est discrète. Mais revenons à l'histoire...

Le héros de ce roman s'appelle Bobi : il débarque par un "clair de toute beauté" sur le plateau de Grémone, un lieu qui rappelle la Provence, mais qui pourtant est un "non lieu", une utopie., au sens littéral du terme. Sur ce plateau aride, vivent quelques familles qui se fréquentent à peine, qui usent leur vie au travail pour amasser un peu d'argent qui ne sert à rien,  dans une solitude et un ennui incommensurables.

Bobi arrive donc sur ce plateau pour apporter " une parole nouvelle": il propose  aux habitants la quête de la joie, un idéal où l'on partagerait les biens, les terres et le travail tout en recherchant une harmonie entre les hommes, les animaux, la nature et les éléments. Cette entreprise ambitieuse, qui révolutionne la société paysanne traditionnelle, se heurtera aux forces de la passion charnelle et à l'Homme lui-même  qui  n'est pas accordé, contrairement aux animaux, aux forces naturelles et qui  "a perdu la joie des saisons et la gentillesse naïve."

Seule Zulma, la gardienne de moutons, parvient à cette harmonie avec la nature: sa fusion  entraîne même sa rupture avec l'humanité qui la rendra définitivement étrangère: les autres ne comprennent plus son langage. Marthe, une des autres femmes du roman, arrive cependant à comprendre, après une conversation énigmatique avec Zulma, "qu'on ne peut pas faire durer la joie" et même "qu'il ne faut pas le désirer." Il ne peut y  avoir d'état permanent de joie, seulement des instants.

La langue de Giono, l'une des plus poétiques à mon goût, sert à merveille le portrait qu'il dresse de Zulma, sorte de Cybèle puissante et sereine.

" Zulma était vêtue des vêtements que Le Noir avait taillés pour lui dans les peaux. Mais elle était forte. Elle avait de beaux seins, lourds et gonflés et des hanches qui remplissaient les vêtements d'homme. Elle était comme une géante de laine. D'un col, pour lequel Le Noir avait soigneusement choisi le poil luisant et frisé d'un agnelet mérinos, émergeait le visage placide aux lèvres épaisses et plates, aux yeux immobiles, aux larges narines, aux cheveux de paille, coiffés en cent tresses tramées serrées comme les fils d'une étoffe de soie et ils portaient la couronne d'épis de fétuque. [...]

Un bélier invisible parla à ses brebis. Puis les moutons apparurent autour du creux de campement. La jeune fille les appela.  Ils descendirent à côté d'elle. Ils portaient des oiseaux accrochés dans leur laine. Ils se couchèrent dans le creux, autour de Zulma, autour du feu, sur les pentes."
 

3 commentaires:

chri a dit…

Jean Giono. Un écrivain d'une vie. Entière.

Calyste a dit…

Je me souviens d'un roman magnifique de Giono, que j'avais lu quand j'étais adolescent: "le Chant du monde".

Christine a dit…

Oui, Chri, Giono se lit de 7 à...97 ans. De Regain à Un Roi sans divertissement , il y en a pour tous les goûts et pour tous le âges. Je prends beaucoup de plaisir à lire ou relire les oeuvres de cet écrivain, un peu (trop) oublié à mon goût. Mais peut-être pas du côté de chez vous ?

Calyste, Le Chant du monde est un livre ample, plein de souffle, de noirceur, de feu, de violence mais aussi un hymne à la Durance, ce fleuve sauvage, fier et indomptable. Dès les premières pages, le lecteur est emporté... Il supporte très bien la relecture, vous savez.