jeudi 1 mars 2012

Va-t-en guerre

Sorti en 1957, le film de Kubrick ne pourra être vu par le public français qu'en 1975. Si  la censure bat son plein entre 1950 et 1960, Les Sentiers de la gloire n'est pas soumis à la censure officielle française. Mais lors de sa sortie en Belgique, il a été  violemment attaqué par des militaires français et d'anciens combattants offusqués par l'attitude de l'armée français. Ces attaques, relayées par des ligues morales et familiales françaises et amplifiées par des maires qui  interdisent le film dans leur commune, ont conduit les distributeurs américains à l'autocensure. La France est engagée dans la sale guerre d'Algérie et les faits relatés dans le film - tous des faits réels- n'honorent pas l'armée. 

Ce film n'est pas un film de guerre (on ne voit aucun Allemand ), il ne peut être réduit non plus à un film contre la guerre: il n'y a qu'une seule scène d'assaut. C'est résolument un film contre l'armée: c'est un combat entre les officiers et les soldats d'un même camp, les premiers allant jusqu'à la mise à mort des seconds. Sans scrupule. Sans raison. Pour l'exemple. Avec une parodie de justice, comme le présente la scène suivante



Je viens de voir ce film , un de Kubrick que je n'avais pas encore vu. A cette heure où l'on parle beaucoup d'un film français en noir et blanc -assez réussi -qui rend hommage au cinéma muet américain en traitant un sujet léger, il est bon de revoir un grand film américain, en noir et blanc lui aussi, mais parlant,  très habilement filmé et très maîtrisé, qui défend des idées... pas légères du tout.


« J'aurais préféré que les hommes soient des soldats américains, mais rien de comparable aux mutineries de tranchées qui ont eu lieu dans les Flandres en 1917 dans l'armée française et dans l'armée britannique n'est arrivé aux Américains. [...] Alors pourquoi pas des troupes britanniques ? C'est aussi très simple. On ne peut pas faire parler l'anglais à des acteurs américains : ni en Angleterre ni aux États-Unis les gens n'y croiraient, et ils ne peuvent pas non plus parler l'Américain et passer, en Angleterre ou aux États-Unis, pour des soldats britanniques. Alors pourquoi ne pas prendre des acteurs britanniques ? Nous étions obligés d'avoir des interprètes américains pour obtenir le financement des sociétés de distribution américaines.
Pourquoi pas les Allemands ? En faire une histoire de l'armée allemande ? Cela aurait été absolument incompatible avec le thème de l'histoire, qui tirait son ironie d'un acte inhumain accompli au nom de la nécessité : "La fin justifie les moyens", "Il faut gagner la guerre." Je ne crois pas qu'en dehors de l'Allemagne il y aurait eu un public pour se laisser émouvoir par un tel argument, si les troupes avaient été allemandes.
Mon but en faisant ce film était de faire un film anti-guerre (encore qu'une pareille simplification des thèmes et des histoires paraisse toujours un peu absurde) et si c'est la France qui a été choisie, c'est pour les raisons que je viens de dire. »
Stanley Kubrick,
lettre à L'Express, 5 mars 1959.

6 commentaires:

chri a dit…

Il fait partie de ces films inoubliables.

Claire Massart a dit…

Un des films de mon panthéon cinématographique ! Psychologiquement marquant, intelligent, cruel et/mais vrai... Je l'ai revu plusieurs fois et c'est le même choc ! Comment cela pourrait-il (mal) vieillir ?

Christine a dit…

Oui, Chri. Ce qui est inoubliable c'est la façon dont Kubrick contient, à travers le personnage de Dax, incarné par Kirk Douglas, le profond sentiment de dégoût que nous les spectateurs, éprouvons à l'égard de ces généraux, tous plus lâches, barbares et veules les uns que les autres. Sans compter le dépit ou la rage que tout cela est universel, éternel. Un sentiment très amer. Un film qui trotte longtemps dans la tête.

Christine a dit…

Je comprends, Claire, que ce film puisse faire partie de ton panthéon (lequel Panthéon compte parmi les personnalités inhumées quelques généraux dont j'ignore tout...des Mireau ou des Broulard peut-être ?).
Je n'ai pas ton recul pour savoir si la rediffusion me remuera tout autant que la première fois.
Oui, cruel est le terme. En voyant ce film, j'ai pensé très fort à Destouches dans Voyage au bout de la nuit face au sadisme meurtrier de ses supérieurs hiérarchiques dans les tranchées. La même force. la même rage. Ramenées à l'échelle humaine, à travers des individus pris au hasard. Pas des masses héroïques, chair à canon. Des types banals et ordinaires, soumis au bon vouloir d'autres individus, réfugiés derrière leur statut de professionnels de la guerre. Autrement dit, un conflit singulier qui n'a plus le masque de la mort pour "la" cause, mais le visage de l'assassinat brutal et autorisé. Effrayant...

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Christine a dit…

Coucou Anijo !
J'espère que mon retard pour te répondre n'est pas la cause de la disparition de ton commentaire. Brave Marin, chanté par G Béard, c'est aussi l'histoire d'un pauvre malheureux.
Contente de t'avoir vue ici, même si inexplicablement tu as disparu ?