Je n'avais jamais vraiment prêté attention à la collection d'estampes japonaises de Monet...parce que cet art ne me touchait pas vraiment jusqu'à ce que je découvre à Amsterdam, il y a quatre ans, au beau musée qui est consacré à Van Gogh , un de ses tableaux largement inspiré d'une estampe de Hiroshige Averse soudaine à Atake devenue sous le pinceau du peintre hollandais Le Pont sous la pluie.
Pourtant lors de ma dernière visite du jardin de Monet que j'affectionne tout particulièrement au printemps, après avoir retrouvé avec beaucoup de plaisir l'oeuvre de Hiroshige, et sans doute grâce au regard jubilatoire et de connaisseur que portait un touriste japonais esseulé, j'ai découvert cette estampe de Yoshitora, un dessinateur dont on sait peu de choses.
Cette estampe qui représente une courtisane en compagnie d'un étranger aurait pu illustrer le livre de Pierre Loti Madame Chrysanthème. Si Monet, Baudelaire, Zola, Van Gogh et beaucoup d'autres artistes de la fin du XIXème siècle furent fascinés par le Japon - on a appelé cette inclination le "japonisme"- seul le voyageur Pierre Loti a mis les pieds au pays du Soleil Levant , à Nagasaki précisément pour cause d'avaries sur son bateau. Deux ans après cette escale, en 1887, il publiera ce roman très mitigé d'un Japon qui ne l'a pas enthousiasmé et qui était pourtant très en vogue chez ses contemporains. Si Monet a acheté cette estampe, c'est sans doute parce que par-delà une description très partisane des Japonais(es) Loti sait parler des paysages de ce pays qui déroute cet auteur-voyageur.
Il n'est qu'à lire la critique d'Anatole France:
Ce qui donne au nouveau livre de M. Pierre Loti sa physionomie et son
charme, ce sont les descriptions vives, courtes, émues ; c’est le
tableau animé de la vie japonaise, si petite, si mièvre, si
artificielle. Enfin, ce sont les paysages. Ils sont divins, les paysages
que dessine Pierre Loti en quelques traits mystérieux. Comme cet homme
sent la nature ! comme il la goûte en amoureux, et comme il la comprend avec
tristesse ! Il sait voir mille et mille images des arbres et des
fleurs, des eaux vives et des nuées. Il connaît les diverses figures que
l’univers nous montre, et il sait que ces figures, en apparence
innombrables, se réduisent réellement à deux, la figure de l’amour et
celle de la mort.
Je suis sortie de la maison de Monet plus riche que je n'y étais entrée et je me suis promenée dans son jardin, n'ayant d'yeux que pour les tulipes qui ont l'art de toujours m'étonner. Une fleur qui sied aux jardins normands.
2 commentaires:
C'est étonnant parfois ce qui se passe entre une note qu'on lit et ce à quoi elle nous renvoie...
Je ne connaissais pas Yoshitora, merci pour cette découverte Christine.
Ma découverte du jardin de Monet, je m'en souviens comme si c'était hier... Bien sûr, j'en retiens toute la beauté des lieux, les toiles exposées, le jardin, les fleurs les nymphéas, la maison, la cuisine jaune, la vaisselle jaune et bleue reprise par Christofle...
Mais la première chose qui me revient à l'esprit est l'odeur, toute cette odeur florale qui prend les sens en premier dès qu'on entre dans le jardin !
Lors de cette première visite j'avais mes deux premiers enfants (les autres n'étaient pas nés) et au delà de Monet, j'ai reçu les premiers indices d'une énigme que je ne pouvais pas encore résoudre puisqu'elle n'était pas donnée, j'ai donc trouvé des éléments pour poser la question que je cherchais depuis quelques années et qui me permettrait de trouver des pistes de réponses... C'était en lien avec les odeurs ! J'ai compris ce jour là l'importance de l'odeur pour mon fils (à l'époque je n'en n'avais que un) et cela m'a éclairée pour la suite et cela m'a permis de réfléchir à tout l'aspect sensoriel si important dans son éducation... Cette visite a été salutaire pour moi et j'ai eu confirmation de mon intuition très longtemps après par des publications scientifiques sur le sensoriel...
Et tu reprends la critique d'Anatole France... De son vrai nom François-Anatole Thibault... Et qui n'est pas étranger au choix que j'ai fait pour un de ces prénoms !
Oui c'est étonnant une note parfois, on voudrait se concentrer sur Yoshitora qu'on ne connaît pas et on est happé par un souvenir d'odeur, par un prénom et par la plus grande énigme (même s'Il n'est pas une énigme) qu'on ait eu à savoir se poser dans la vie pour pouvoir la résoudre !
Je m'amuse avec les liens ce soir ! Et j'en fais un avec ta note précédente et la question "Qui sommes-nous et que peut-on en dire?". Il me vient subitement cette question "Que savons-nous recevoir qui répond pour une partie à qui sommes-nous ?"
De tes notes, de tes énigmes je reçois beaucoup ! Merci Christine !
Catherine,
L'odeur, les parfums, les fragrances. Oui, tu as bien raison, j'ai oublié l'essentiel! J'y suis sensible: quand je reviens parfois dans des lieux que j'avais connus enfant, adolescente ou jeune adulte, seule l'odeur d'une maison, d'une pièce, d'un meuble, d'un parquet peut me rassurer: je ne reconnais pas grand-chose en général, j'ai en tête des souvenirs de "plus grand" ou de "plus chaud".Mais le parfum, tel ou tel assemblage d'odeurs, me confirment que j'ai bien vécu ou que je suis bien passée "là" puisque je re -connais un univers familier, et que mon odorat fait surgir des souvenirs intimes, précis et saillants, que ce soient des images ou des propos. Des odeurs, des senteurs qui nous imprègnent et nous assurent de la réalité des moments vécus. Ce sont aussi des jalons irréfutables: ils ne peuvent nous tromper, comme si notre nez était moins manipulable, moins manipulateur que nos yeux ou nos oreilles.
Que le détour que tu as pris avec mes mots t'inspire les tiens, denses, forts et sensibles me réjouit: tant pis pour Yoshitora ! L'abécédaire m'oblige à trouver de drôles d'entrée pour écrire: l'intérêt - que j'espère partagé, c'est de susciter chez mes lecteurs et lectrices la surprise, la curiosité et l'envie de prendre des chemins de traverse en empruntant autrement les mots. Les tiens ont des profondeurs et des légèretés qui me touchent.
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