mercredi 9 février 2011

Zambinella (2)

"En achevant cette histoire, assez connue en Italie, je puis vous donner une haute idée des progrès faits par la civilisation actuelle. On n'y fait plus de ces malheureuses créatures." Voilà une des dernières phrases de Sarrasine. Balzac feint ironiquement la disparition des castrats, alors que le dernier d'entre eux, Alessandro Moreschi, vivait encore au début du XXème siècle. Il existe  des enregistrements de sa voix.


La grande époque des castrats fut  le XVIIIème; le plus célèbre  d'entre eux est Farinelli. Ces castrats jouaient plutôt des premiers rôles masculins . Or, dans la nouvelle, Zambinella ne joue que des rôles de femmes (sauf chez l'ambassadeur). Ce n'est sûrement pas un hasard.

Cet être, dont le narrateur ne nous dit jamais qu'il est "castrat" ni sopraniste", semble réaliser l'idéal androgyne platonicien: Zambinella a deux visages: l'un féminin -la statue de marbre au musée Albani, l'autre masculin- l'Adonis peint par Vien, l'ami de Sarrazine  et commandé par les Lanty. 
Dans l'histoire aussi, Zambinella a la double identité femme/homme: femme quand il est la  chanteuse aimée de Sarrasine, homme lors de la réception de l'ambassadeur et surtout pendant le bal chez les Lanty,  où, devenu centenaire, il affiche l'image  spectrale et répugnante  de sa beauté passée. Ainsi Zambinella apparaît davantage comme une image plutôt que comme un être de chair. Sarrasine tombe amoureux du son de sa voix et de son image,  sa beauté ne survit que par la double image de la statue et du tableau, et c'est son image hideuse qui glace d'effroi les dames du bal chez les Lanty. Enfin parce qu'il est homme et femme par sa constitution physique et sa représentation artistique, il ne peut affectivement être ni homme ni femme.
 Il a été réduit à un objet d'art et de jouissance, ne peut aimer ni être aimé. Il semble le produit d'un société qui l'a engendré pour son plaisir.

On aura compris que cette nouvelle est particulièrement sombre...

6 commentaires:

Pierre a dit…

... comme est assombrie notre écoute de cet enregistrement - excellent au demeurant - lorsqu'on sait ce qu'on fit à cet être humain.

Famille Piton a dit…

Je vais vite aller lire cette nouvelle que je ne connais pas !!!

Christine a dit…

Effectivement Pierre, l'écoute de cette voix-là est en quelque sorte entachée de barbarie. Cette castration était souvent demandée au 17ème et au 18ème par des parents qui cherchaient ainsi à faire prendre en charge l'éducation de leurs fils par un professeur de chant...

Christine a dit…

Bienvenue Stéphanie! Je suis contente de te voir ici.
Je crois me rappeler que Balzac n'est pas trop ton "chouchou": un bon moyen, avec cette nouvelle comme avec d'autres (Facino Cane ou Gobseck ou Le chef d'oeuvre inconnu, si tu ne les connais déjà) de refaire un pas vers ce grand monsieur...

Calyste a dit…

J'avais un jour entendu par hasard cet enregistrement à la radio. Il m'avait bouleversé, parce que je ne m'y étais pas préparé.
Sur ce sujet, as-tu lu "Porporino ou les mystères de Naples", de Dominique Fernandez?.
J'ai chez moi cette nouvelle de Balzac, mais je ne me souviens pas de l'avoir lue. Balzac a été mon amour d'adolescence et j'ai ensuite réussi le Capes un peu grâce à lui.
Je fais faire des recherches dans mon fatras!

Christine a dit…

Non, je n'ai pas lu ce livre de Fernandez. Il faudrait au moins une vie en plus pour lire les livres qui mériteraient d'être lus!
Oui, je comprends que tu aies été "bouleversé": c'est exactement le mot.
Je n'ai pas eu ta chance parce que c'était un de mes auteurs de prédilection. Mais Molière et son Don Juan, ce n'était pas mal non plus. Je n'ai plus de souvenirs de cet oral: tant mieux, car il a fallu m'y reprendre à deux fois pour l'avoir, ce fichu concours!