samedi 25 février 2012

Va-nu-pieds

"J'ai griffonné "maison" en lettres majuscules à gauche de la page c'est comme un jeu. Mon grand frère m'a dit qu'on est des SDF mais ça signifie pas qu'il faudrait qu'on la ferme. Alors voilà, il y a deux fois MAISON, je vais en ajouter une troisième. Demain je rendrai ce brouillon qu'on devait rédiger en perm et recopier à la maison. Le prof m'expédiera chez l'assistante sociale ou au bureau du directeur et lui - sait-on jamais - tout à coup va déclarer que la baraque à côté des cuisines est-ce que ça nous dépannerait, ou le vieux vestiaire du gymnase ?
Non. Le directeur s'en fout, il a d'autres projets pour l'occupation des locaux puants. Il nous signalera à la mairie, une mère au chômage, deux ados râleurs, on traînera dans un dossier de plus. Pourtant j'ai écrit MAISON une fois encore. C'est mercredi. J'irai pas au bout de la semaine, le prof a dit que cent lignes ça suffit.

M arie (c'est-à-dire la Sainte Vierge)
h s'il te plaît (merci)
I   nvente un miracle
S  pécial. Que Dieu qui a fait le ciel et la terre et le terrain pour construire
O rdonne aux HLM de se grouiller (merci) afin de
N ous reloger (même dans quinze mètres carrés). Parce que sinon -

(Sinon quoi ?)
Amen
                                       Le Tapis du Salon, Annie Saumont, Julliard, 2012, p. 62-63

« Je veux, si je suis élu président de la République, que d’ici à deux ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid. Parce que le droit à l’hébergement, je vais vous le dire, c’est une obligation humaine. »

 Nicolas Sarkozy – Charleville-Mézières (Ardennes) – 2006

mercredi 22 février 2012

Vol au-dessus d'un nid de coucou

A Auriane, qui a choisi ce difficile métier (et qui est tout le contraire de Mildred Ratched !)

C'était en 1975, j'avais 18 ans et ce film-là, je ne l'ai jamais oublié. Je n'ai jamais plus revu non plus un Jack Nicholson aussi fort, aussi puissant, aussi impressionnant et "sincère" dans son jeu d'acteur.
Ce film m'émeut toujours autant et j'ai toujours la gorge serrée quand Chef s'enfuit ...de l'écran.


lundi 20 février 2012

Vasarely

Zebra, 1938. La première oeuvre de Vasarely, celle qui inaugure son Op art.
Ce tableau constitué de bandes noires et blanches tordues donne l'impression tridimensionnelle d'un zèbre assis.
Cet artiste d'origine hongroise,  nourri par le Bauhaus, graphiste,  est animé par un principe: celui de l'illusion d'optique. Il explorera toutes ces illusions.
Pourquoi? Peut-être pour montrer que voir n'est pas une preuve d'existence, ou que voir n'est pas démontrer, tordant le coup à Saint Thomas...


Ainsi, il exploite l'illusion du mouvement en utilisant des réseaux linéaires comme dans Etude de perspective (1943)
ou l'illusion de la grille d'Hermann,  découverte depuis plus de 100 ans, comme dans Rena II A (1968) où l'on voit des taches grises briller aux intersections des lignes claires
ou encore l'illusion des contrastes, montrant qu'une même couleur peut apparaître claire ou foncée selon son contexte, telle que le prouve l'image de L'échiquier publié par Ted Alderson en 1995, où contrairement aux apparences le gris du carré A est le même que celui du carré B.
Partout ou presque, dans l'oeuvre de Vasarely, il y a l'omniprésence des mathématiques: utilisation de figures géométriques abstraites, symétrie, répétition.
Un article assez pointu dont je me suis inspirée pour écrire cette note, tente de montrer la musicalité de l'oeuvre de Vasrely, concluant que "la musique a probablement eu une grande influence sur la naissance de l'art abstrait."
Il ne faudrait pas non plus oublier, pour conclure sur cet artiste assez oublié, qu'il avait une démarche "politique" aussi: pour regarder sa peinture, disait-il, pas besoin d'avoir des pré-requis, autrement dit une "culture". Il suffisait de regarder et de construire son propre regard. Un  art pour tous en somme. 
La fondation d'Aix -en -Provence donne à voir des oeuvres gigantesques, impressionnantes : la visite est agréable, stimulante et  nous sommes médusés par les astuces déployées pour tromper notre regard qui se croit pourtant (trop?) sûr de lui.
En revanche, quand nous l'avons visitée il y a trois ans, la Fondation allait mal. Qu'en est-il aujourd'hui ?


samedi 18 février 2012

Vagants (clercs)



Les clercs vagants étaient au Moyen Age des moines le plus souvent en rupture de monastère. Ce sont des hommes qui " pensent et sentent comme les plus libres poètes romains" en mêlant à leur langue des fragments du latin d' Eglise qu'ils ont pratiqué en d'autres circonstances.  Voici un extrait des Carmina Burana (1230) recueil de poèmes, chants religieux et chansons d'inspiration libre et familière écrite par des clercs vagants allemands.
C'est essentiellement une satire violente de l'ordre établi. La singularité de la chanson qui suit tient à ce que le récit est fait par la victime.




J'étais une enfant belle et bonne
quand vierge encore j'étais en fleur
tout le monde me louangeait
Hou et oh ! Maudit le tilleul qui pousse
au long du chemin !

Un jour je voulais aller à travers prés
cueillir des fleurs
alors un voyou voulut
m'y déflorer

Il me prit par ma blanche main
mais pas sans bonnes manières
il me conduisit au long du pré,
frauduleusement.

Il me prit mon habit blanc,
sans bonnes manières,
il me traîna par la main
très violemment

Il dit :"Femme, allons-y
l'endroit est retiré !"
ce chemin, qu'il soit honni !
j'ai pleuré sur tout ça.

Voici un beau tilleul
non loin du chemin :
j'y ai laissé ma harpe,
mon psaltérion et ma lyre

Comme il arrivait au tilleul
il dit "Asseyons-nous" -
l'amour le pressait fortement-
"faisons un jeu"

Il saisit mon corps blanc,
non sans crainte,
et dit "je te rends femme,
douce est ta bouche".

Il souleva ma chemisette
et quand mon corps fut dénudé,
il entra soudain dans mon petit château,
poignard dressé.

Il prit le cuistot et l'arc
la chasse a été bonne !
Le même m'a ensuite trompée.
Voilà la fin de l'histoire.

Carmina Burana,
Texte et traduction du Clemencic Consort
Harmonia mundi, France, HM 335 


mercredi 15 février 2012

Valse (s)

à mille temps
et puis  trois petites notes


"Valse mélancolique et langoureux vertige" 

vendredi 10 février 2012

Enigme 36


Quatre photos pour quatre oeuvres. Saurez-vous retrouver leur titre?
Amusez-vous bien. Bon week-end !
Vous pouvez envoyer vos réponses à xtinemer@gmail.com avant dimanche soir 20 heures, si le coeur vous en dit.
Réponse :
Bravo à Catherine qui a trouvé les 4 oeuvres et à Jacques qui en a trouvé une.
Il s'agissait de Tristan et Iseult (la ronce de leurs deux tombes), de La Chanson de Roland (la brèche Roland du cirque de Gavarnie), de Yvain ou le Chevalier au lion et de Lancelot ou le Chevalier de la charrette.
Bonne semaine à vous !
 

mercredi 8 février 2012

Villequier


Souvenir de l'été  passé. Villequier. La Seine au pied .
Roses trémières élégantes et délicates au jardin. Des rosiers tiges. Presque sauvages.
Un jour d'été chez les Vacquerie.
Le jour de la noyade, Victor était loin. Avec Juliette, en voyage. Loin de sa Didine chérie.
Beaucoup de documents, de peintures, de lettres, de photos, dans cette maison. Une surprise toute naïve: les dessins de Victor, pour ses enfants. J'imagine les histoires improvisées. Une douceur. La maison aurait pu être celle de L'art d'être grand-père. 

" Elle me quitte. Je suis triste, triste de cette tristesse profonde que doit avoir, qu’a peut-être (qui le sait ?) le rosier au moment où la main d’un passant lui cueille sa rose. Tout à l’heure j’ai pleuré (…) " 

En quittant Villequier, j'ai eu en tête les images de Truffaut. L'Histoire d'Adèle H. Adjani. La folie. Excès d'amour ?


Au cimetière, où je ne suis pas allée, toutes les femmes Hugo sont enterrées. Pour voir "l'or du soir qui tombe, et les voiles au loin descendant vers Harfleur".

lundi 6 février 2012

dimanche 5 février 2012

Vases communicants

Pour l'énigme de la semaine, petit changement de procédure.

J'ai participé à un échange  Les Vases communicants.
Pierre a réalisé une huile sur carton que j'aimais et sur laquelle j'ai rédigé un texte énigme : elle se trouve depuis samedi chez Un promeneur tandis que chez Pierre est diffusé un texte du Promeneur. Le thème commun de cet échange était "Les gares".

L'occasion pour vous de découvrir deux autres blogs.

vendredi 3 février 2012

Vélasquez

Voici Démocrite de Vélasquez, peint  d'abord en 1627-28 puis retouché par le peintre lui-même en 1639-40. Il a une histoire tout à fait passionnante du fait précisément des repentirs qui ont été apportés au tableau, modifications dont semblait coutumier ce peintre officiel du roi d'Espagne, Philippe IV. On peut admirer ce tableau au Musée de Rouen. Cette ville fut propriétaire de ce tableau dès la fin du XVIIIème siècle, une famille espagnole en faisant cadeau au Bureau des finances contre des lettres de naturalité accordées par la ville. Rouen grand port maritime de l'époque, qui échangeait avec l'Espagne et comptait une petite communauté espagnole. Les Da Silva - les donateurs-  étaient probablement de la famille du peintre, puisque c'était son nom patronymique. Avec ce cadeau, Rouen devenait la seule ville française possédant "un" Vélasquez.

Il aura fallu d'abord attendre la fin du XIXème pour identifier le peintre et le sujet de ce tableau. On a longtemps cru qu'il s'agissait de Ribera-  le peintre qui  avait inventé ce genre pictural où l'on représentait des intellectuels antiques paré d'atours contemporains. Un  peintre rouennais, Lemonnier, qui avait découvert ce tableau dans une abbatiale de Rouen où elle avait rejoint d'autres oeuvres pendant la Révolution, crut voir en Démocrite, Christophe Collomb, bien que vingt ans plus tard, quand il revendit ce tableau à la ville de Rouen en 1822 pour l'ouverture du Musée, il entra sous le nom de Portrait de Newton. C'est Gaston Lebreton, conservateur de ce Musée qui authentifia en 1880 Vélasquez, après avoir étudié la production de ce peintre officiel de Philippe IV d'Espagne, notamment en le comparant au célèbre tableau Les Buveurs du Prado.

Démocrite emprunte ses traits  à Pablo de Valladolid, un des bouffons du roi espagnol ,chargé de dissiper sa mélancolie. Sa coiffure en oreille de chien est caractéristique et Vélasquez lui a déjà consacré un tableau visible au Prado. Voilà pour la carte d'identité du tableau qui est à elle seule une histoire compliquée. Mais le plus intéressant reste à raconter.

Une copie de ce  Démocrite, acheté par le peintre suédois Anders Zorn probablement dans les années 1910 en Allemagne - Zorn collectionna près de 20 000 oeuvres - représente exactement le même tableau à l'exception d'un détail de taille : à la place de la mappemonde,  le sujet tient dans sa main  un verre. Ce tableau, dont je n'ai pu trouver aucune représentation, est visible au Musée de Mora, une petite ville suédoise, dans la région des grands lacs. Cette copie provient probablement de l'atelier de Vélasquez et des spécialistes confirment que c'est sans doute le peintre lui-même qui a fixé le sujet de ce tableau même si son exécution fut laissée à ses élèves. Cette copie, construite selon des règles mathématiques, aurait servi à une première version du tableau  exposé à Rouen : mais dans la première version, le sujet ne montrait pas du doigt une mappemonde, mais tenait, main renversée, un vase: c'est ce que les nouvelles techniques scientifiques ont démontré en analysant avec un scanner très performant, la zone de la main...Pourquoi Vélasquez a t-il donc opéré un repentir sur cette toile ? Quel événement l'a poussé à faire d'un rieur un philosophe grec ?

Si  Vélasquez connut une mode iconographique , très en vogue à la Renaissance,  relancée  au XVIIème siècle par les peintres inspirés par Caravage, des peintures à mi-corps  avec le thème des philosophes grecs Démocrite - qui rit sur l'Humanité- et Héraclite, celui qui pleure, thème que les peintres flamands et Ribéra à Naples avaient remis au goût du jour,  ce n'est pas seulement cela qui le poussa à exécuter ces modifications. Rubens fut  invité à Madrid  de 1635 à 1637 et chargé, avec Vélasquez lui-même, de décorer le pavillon de chasse de Philippe IV,  La Torre de la Parada. On peut imaginer que la fréquentation de Rubens inspira Vélasquez et le poussa à faire de sa première copie, plutôt rieuse, un tableau qui égalait l'art du Flamand et rentrait dans un thème d'époque.

Par ailleurs, on sait que Vélasquez, formé à l'école d'un peintre savant  Francisco Pacheco, aimait les mathématiques, les traités d'optique et d'astronomie. Il était fasciné par la règle du nombre d'or qui visait à structurer de manière géométrique ses compositions pour rendre les proportions harmonieuses. Démocrite en est un bel exemple. Si l'on prend un compas et que l'on mesure la circonférence extérieure de la mappemonde, on s'aperçoit que le visage de Démocrite a exactement des cheveux au menton, la même dimension et que le diamètre de ces deux sphères est exactement le tiers de la largeur du tableau.

Enfin, dernière merveille dont on peut faire aujourd'hui son miel : ce n'est pas Héraclite qui s'afflige sur le monde mais Démocrite qui, en nous désignant du doigt cette mappemonde, semble nous dire que le monde est là, et qu'il faut en profiter, tout de suite. Un Démocrite qui ne peut susciter que l'empathie.