vendredi 3 février 2012

Vélasquez

Voici Démocrite de Vélasquez, peint  d'abord en 1627-28 puis retouché par le peintre lui-même en 1639-40. Il a une histoire tout à fait passionnante du fait précisément des repentirs qui ont été apportés au tableau, modifications dont semblait coutumier ce peintre officiel du roi d'Espagne, Philippe IV. On peut admirer ce tableau au Musée de Rouen. Cette ville fut propriétaire de ce tableau dès la fin du XVIIIème siècle, une famille espagnole en faisant cadeau au Bureau des finances contre des lettres de naturalité accordées par la ville. Rouen grand port maritime de l'époque, qui échangeait avec l'Espagne et comptait une petite communauté espagnole. Les Da Silva - les donateurs-  étaient probablement de la famille du peintre, puisque c'était son nom patronymique. Avec ce cadeau, Rouen devenait la seule ville française possédant "un" Vélasquez.

Il aura fallu d'abord attendre la fin du XIXème pour identifier le peintre et le sujet de ce tableau. On a longtemps cru qu'il s'agissait de Ribera-  le peintre qui  avait inventé ce genre pictural où l'on représentait des intellectuels antiques paré d'atours contemporains. Un  peintre rouennais, Lemonnier, qui avait découvert ce tableau dans une abbatiale de Rouen où elle avait rejoint d'autres oeuvres pendant la Révolution, crut voir en Démocrite, Christophe Collomb, bien que vingt ans plus tard, quand il revendit ce tableau à la ville de Rouen en 1822 pour l'ouverture du Musée, il entra sous le nom de Portrait de Newton. C'est Gaston Lebreton, conservateur de ce Musée qui authentifia en 1880 Vélasquez, après avoir étudié la production de ce peintre officiel de Philippe IV d'Espagne, notamment en le comparant au célèbre tableau Les Buveurs du Prado.

Démocrite emprunte ses traits  à Pablo de Valladolid, un des bouffons du roi espagnol ,chargé de dissiper sa mélancolie. Sa coiffure en oreille de chien est caractéristique et Vélasquez lui a déjà consacré un tableau visible au Prado. Voilà pour la carte d'identité du tableau qui est à elle seule une histoire compliquée. Mais le plus intéressant reste à raconter.

Une copie de ce  Démocrite, acheté par le peintre suédois Anders Zorn probablement dans les années 1910 en Allemagne - Zorn collectionna près de 20 000 oeuvres - représente exactement le même tableau à l'exception d'un détail de taille : à la place de la mappemonde,  le sujet tient dans sa main  un verre. Ce tableau, dont je n'ai pu trouver aucune représentation, est visible au Musée de Mora, une petite ville suédoise, dans la région des grands lacs. Cette copie provient probablement de l'atelier de Vélasquez et des spécialistes confirment que c'est sans doute le peintre lui-même qui a fixé le sujet de ce tableau même si son exécution fut laissée à ses élèves. Cette copie, construite selon des règles mathématiques, aurait servi à une première version du tableau  exposé à Rouen : mais dans la première version, le sujet ne montrait pas du doigt une mappemonde, mais tenait, main renversée, un vase: c'est ce que les nouvelles techniques scientifiques ont démontré en analysant avec un scanner très performant, la zone de la main...Pourquoi Vélasquez a t-il donc opéré un repentir sur cette toile ? Quel événement l'a poussé à faire d'un rieur un philosophe grec ?

Si  Vélasquez connut une mode iconographique , très en vogue à la Renaissance,  relancée  au XVIIème siècle par les peintres inspirés par Caravage, des peintures à mi-corps  avec le thème des philosophes grecs Démocrite - qui rit sur l'Humanité- et Héraclite, celui qui pleure, thème que les peintres flamands et Ribéra à Naples avaient remis au goût du jour,  ce n'est pas seulement cela qui le poussa à exécuter ces modifications. Rubens fut  invité à Madrid  de 1635 à 1637 et chargé, avec Vélasquez lui-même, de décorer le pavillon de chasse de Philippe IV,  La Torre de la Parada. On peut imaginer que la fréquentation de Rubens inspira Vélasquez et le poussa à faire de sa première copie, plutôt rieuse, un tableau qui égalait l'art du Flamand et rentrait dans un thème d'époque.

Par ailleurs, on sait que Vélasquez, formé à l'école d'un peintre savant  Francisco Pacheco, aimait les mathématiques, les traités d'optique et d'astronomie. Il était fasciné par la règle du nombre d'or qui visait à structurer de manière géométrique ses compositions pour rendre les proportions harmonieuses. Démocrite en est un bel exemple. Si l'on prend un compas et que l'on mesure la circonférence extérieure de la mappemonde, on s'aperçoit que le visage de Démocrite a exactement des cheveux au menton, la même dimension et que le diamètre de ces deux sphères est exactement le tiers de la largeur du tableau.

Enfin, dernière merveille dont on peut faire aujourd'hui son miel : ce n'est pas Héraclite qui s'afflige sur le monde mais Démocrite qui, en nous désignant du doigt cette mappemonde, semble nous dire que le monde est là, et qu'il faut en profiter, tout de suite. Un Démocrite qui ne peut susciter que l'empathie.

2 commentaires:

Pierre a dit…

De la peinture pour au moins un "V". Ceci me rappelle les citrons du fils Zurbaran. Et là un peintre immense, que savants, artistes, scientifiques et amateurs étudient sans se lasser.
Je file à Maura!

Christine a dit…

Pierre,
On peut peut-être déjà aller (ou retourner) à Rouen? Castres, aussi.
Oui, Vélasquez ouvre la voie à bien d'autres V, peintres célèbres.