Va, je ne te hais point, s'exclame Chimène. Litote exemplaire dans les traités de figures de style.
Va, cours, vole et me venge. C'est dans ces termes que Don Diègue pousse son fils à le venger.
Je viens de relire Le Cid : j'avais presque tout oublié de ce beau texte, sauf l'ennui profond que j'avais éprouvé quand je l'avais étudié au lycée, en 4ème sans doute. Pourtant en le relisant, je me suis aperçue que certains vers étaient profondément ancrés en moi. Pourquoi ? C'est la question que je me suis posée, n'ayant pas le souvenir non plus d'avoir appris quelque tirade de cette tragi-comédie. Pourquoi donc connaître certains vers comme si je les avais appris comme les tables de multiplication " à la mitraillette ", comme le voulait une de mes grands-mères ?
Je crois avoir trouvé un début de réponse à cette interrogation et il y a là de quoi réjouir notre Pierrot national, Rouennais qui plus est! Ses vers sont passés dans le langage courant ou ont été empruntés, parodiés, dans la littérature .
J'ai entendu dans mon enfance des proches qui connaissaient le texte sans jamais cependant avoir passé un Master 2 en littérature dramatique ou en analyse dramaturgique les prononcer souvent, à propos de ces tout et de ces rien qui font une vie. Quand nous abandonnions un jeu qui nous lassait, nous avions droit à
Et le combat cessa faute de combattants
ou quand ma grand-mère n'arrivait plus à mettre le fil dans le chas d'une aiguille, elle bougonnait
O rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie !
Pourtant ma grand-mère n'a pas usé ses robes sur les bancs de l'école! Ce qui tend à prouver que même sans avoir jamais lu cette oeuvre, beaucoup de Français connaissent ces vers sans savoir leur origine.Et combien de fois ai-je entendu, lors de manifs, des "camarades" dire
Nous partîmes cinq cents; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
Gosse, j'ai toujours cru que ces vers étaient des proverbes et les pages roses du Larousse ont sans doute conforté cette impression...
Et puis Pagnol y a mis son grain de sel et son Rodrigue, as-tu du coeur ? a fait le tour de France.Moins connu, Georges Fourest qui a parodié bien des textes "canoniques"a su faire dire à Chimène dans son recueil poétique La Négresse blonde
"Dieu ! soupire à part soi la plaintive Chimène
Qu"il est joli garçon l'assassin de Papa !"
Tous ces vers vous rappellent à vous aussi, j'en suis sûre, des épisodes de votre vie ou des personnages qui vous ont côtoyés et citaient Corneille le plus naturellement du monde. Mais cette" tradition" dépasse notre génération. Je m'en réjouis. Ma fille -qui devait avoir à cette époque 13 ans- eut un enseignant de lettres qui s'appelait Monsieur Auvage. Que croyez-vous qu'il arriva ? Il fut baptisé en deux temps trois mouvements par ces coquins de mômes, "Monsieur O rage !" ou "Monsieur O désespoir !" selon son humeur...
Corneille a eu sa revanche sur l'Académie . Elle a tant critiqué sa pièce qu'il cessa d'en écrire pendant trois ans...On lui reprocha d'avoir contrevenu aux règles (pourtant très récentes) de la tragédie, le manque de pudeur et le comportement indécent de Chimène, l'incorrection de certains vers et patati et patata. N'empêche, Va... est toujours là !
13 commentaires:
Quand le docteur lui dit : "Monsieur, c'est la vérole
indiscutablement !", quand il fut convaincu
sans pouvoir en douter qu'il était bien cocu
l'Homme n'articula pas la moindre parole.
Quand il réalisa que sa chemise ultime
et son pantalon bleu par un trou laissaient voir
sa fesse gauche et quand il sut que vingt centimes
(oh ! pas même cinq sous !) faisaient tout son avoir
il ne s'arracha point les cheveux, étant chauve,
il ne murmura point : "Que le bon Dieu me sauve !"
ne se poignarda pas comme eût fait un Romain,
sans pleurer, sans gémir, sans donner aucun signe
d'un veule désespoir, calme, simple, très-digne
il prononça le nom de l'excrément humain.
Vice Fourest !
Aux pieds de Rabelais, le Duc, le Roi, le Maître,
O mes pères Scarron, Saint-Amant, d'Assoucy,
Colletet, Sarrazin, daignerez-vous permettre
Qu'à vos côtés Fourest vienne s'asseoir aussi ?
Heu, évidemment, je voulais écrire "Vive Fourest !"
C'est très juste ce que tu dis Moune! Et vachement intéressant! (Non pardon, je me trompe de note!) Incroyable quand même que tant de ces citations me soient familières alors que je n'ai jamais lu un traitre mot de ce cher Corneille... Et ce pauvre M. Auvage en a fait les frais!
Peut-être y-a-t-il eu aussi pour les gens de notre génération l'aide de la voix de Gérard Philippe qu'on a beaucoup entendue dire ces vers là...
Oui ZapPow, Fourest est un régal d'intelligence et d'espièglerie; il mérite effectivement de siéger à côté de Scarron!
Monsieur Auvage a eu tous les honneurs, plutôt! Pour lire Corneille, tu as atteint l'âge de raison! Tu apprécieras, je pense.
Chri,
Je ne sais pas pour Gérard Philipe. Bien des gens de notre génération n'ont pas lu ni vu Le Cid. Jean Vilar est parfois aussi méconnu que Corneille.
Je vais te faire un aveu: je n'ai jamais pu supporter Gérard Philipe. C'est grave, docteur?
Merci pour ce billet Christine ! Il y a aussi de très utilisé : «Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre des années.»
Bien vu Catherine. Celui-là était passé à la trappe !
Il n'y a rien de grave, Calyte ! On peut tout avouer... Gérard Philipe n'a jamais été une idole pour moi non plus.
Va... gars lame
Va... paré revit hein
Va... l'heure ajout thé
Va... yeux queue vaille
Va... l'or risée le pro d'hui
Va... dais ré trop sa tanne as
Le Va est toujours là.
Vi!
Que d'imagination Pierre ! Je te sais gourmand de mots et de leurs jeux ! Une autre façon d'éclairer le Vade retro Satanas, qui m'a beaucoup fait rire !
Deux petites lettres suffisent à va...rier les plaisirs.
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