dimanche 13 février 2011

Zatopek

C'est un personnage de mon enfance,  même si je ne l'ai jamais vu courir "en direct". J'en ai beaucoup entendu parler, ainsi que de Mimoun. Ces deux noms me faisaient rêver. Je n'étais pas la seule!
Cette après-midi, dans une douce torpeur  et un certain bonheur de me savoir en vacances,  tandis que Rinaldo et Almirène chantent la musique d' Haendel que je ne cesse d'écouter en ce moment,  je me laisse glisser dans le très beau livre de Jean Echenoz Courir qui met en mots cette légende sportive que fut "La Locomotive"

Un soleil printanier vif et doux baigne de lumière cet appartement que j'aime tant et petit à petit,  je me mets  dans la foulée de ce grand échalas humble, gauche, grand champion à son insu. Un coureur dont le style est... de ne pas en avoir!
"Il y a des coureurs qui ont l'air de voler, d'autres qui ont l'air de danser, d'autres paraissent défiler, certains semblent avancer comme assis sur leurs jambes. Il y en a qui ont juste l'air d'aller le plus vite possible où on vient de les appeler. Emile, rien de tout cela.
Emile, on dirait qu'il creuse ou qu'il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d'élégance, Emile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir."


Le rythme ce de livre est impressionnant. Je cours  le 5000m, le 10000m, le marathon, je remporte avec lui les trois médailles d'or aux JO d'Helsinki . Comment  fait Echenoz pour avoir  cette efficacité? Un style saccadé? Hypnotique? Un point de vue narratif qui sous des airs de témoin, se place résolument dans la tête de celui qui ne fait "Jamais, jamais rien comme les autres, même si c'est un type comme tout le monde"? Je ne sais mais c'est magique.

Et puis page après page,  alors que la joie de lire est déjà à son comble, je découvre qu'Echenoz a ressenti cette même impression que j'avais gamine, quand on disait "Zatopek". Il le dit tout juste comme je me le suis toujours dit, sans jamais trouver les mots qui convenaient.

" Ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Emile est fournie avec le moteur Zatopek.
C’en serait même presque injuste : il y a eu d’autres grands artistes dans l’histoire de la course à pied. S’ils n’ont pas eu la même postérité, ne serait-ce pas que chaque fois leur nom tombait moins bien, n’était pas fait pour ça, ne collait pas aussi étroitement que celui d’Emile avec cette discipline – sauf peut-être Mimoun dont le patronyme sonne, lui, comme souffle un des noms du vent. Résultat, on les a oubliés, ce n’est pas plus compliqué, tant pis pour eux."

Je ferme le livre. Je cours avec lui encore, une dernière fois,  derrière la benne du camion poubelle,   sous  les applaudissements de tous les Pragois:  le gouvernement , après l'avoir expédié dans les mines d'uranium de  Jachymov pour propos séditieux (l'appel au boycott de l'URSS aux JO de Mexico sur la place Venceslas au printemps 68) l'a "promu" en le faisant éboueur: ses collègues refusent qu'il ramasse les ordures.

Il ne restait plus qu'à faire rentrer ce grand monsieur, dans ce petit abécédaire....

Courir, Jean Echenoz, Editions de minuit, 2008

7 commentaires:

Pierre a dit…

Cette attention aux sonorités...
Seul un écrivain déniche une telle pépite: Le prénom, Émile -burette d'huile du nom, Zatopek - moteur.
Je pense à François Cheng, soulignant l'harmonie entre la sonorité prononcée de nombreux mots de la langue française, et leur sens; dans son petit livre "Le dialogue, une passion pour la langue française".
Et c'est vrai qu' "émil" c'est doux, c'est lié, ça s'épend et s'étale comme de l'huile, tandis que "zatopec" ça claque, cliquette et vrombit comme une machine.

Anonyme a dit…

Ce livre fait partie de la liste de ceux que j'ai envie de lire...
Après une telle présentation suivi du com de Pierre, il devient évident qu'il passe prioritaire !

D'autant que j'aime lire Echenoz !

Catherine

Christine a dit…

Pierre,
Effectivement, le "boulot" de nombreux poètes contemporains est de traquer la correspondance son/sens et vous savez combien j'aime tout particulièrement le recueil de Francis Ponge, Le Parti pris des choses.

Echenoz, un prosateur, a le mérite toutefois de donner aux prénom et nom patronymique de cet homme ordinaire une valeur symbolique, comme si les sons de son nom portaient en eux son destin. C'est toujours très étrange un nom et un prénom, vous ne trouvez pas? On s'interroge parfois sur eux... tentant de donner du sens en chamboulant ses lettres de sens(!), en lui trouvant des anagrammes, sans évoquer les raisons invoquées par tel ou telle sur le choix du prénom... A propos du père de Zatopek, Echenoz nous raconte qu'il avais transmis à son fils son horreur pour le sport!

Bravo en tout cas pour vos verbes quasi onomatopéiques que vous avez choisis pour vous approprier ce nom qui oui, décidément, est magique!

Christine a dit…

Merci du compliment Catherine!
Comme c'est difficile de parler d'un livre! Ne pas "l'abimer", ne pas le "déflorer", ne pas le "réduire".

Ce livre me trottait dans la tête depuis longtemps et le hasard a fait que je suis tombée dessus, en allant à la médiathèque. C'était un signe!

L'année passée, plus que les autres, j'ai lu davantage de livres "d'aujourd'hui";j'ai eu de belles-mais rares-surprises! D'Échenoz, j'ai lu son Ravel qui m'avait beaucoup plu.
En tout cas, Courir, c'est un grand régal! Bonne lecture!

Anonyme a dit…

Ravel, j'avais beaucoup aimé et puis aussi "Les grandes blondes" !
Catherine L

Flocon a dit…

Inattendu ce reportage allemand entrecoupé d'interventions en tchèque.

L'athlète seul sur la cendrée au centre de l'arène point de convergence de touts les regards me fait penser à la phrase de Hegel voyant Napoléon entrant à cheval dans Iéna.

Christine a dit…

Je n'ai pas eu trop le choix dans le magasin de You Tube... pour relater ses trois victoires à Helsinki.

Zatopek comme Napoléon entrant à Iéna? L'histoire serait-elle donc finie???? (j'ai vu que les philosophes discutent beaucoup sur le sens de "cette fin de l'histoire")
Ce qui me fait sourire, c'est que Zatopek avait une sainte horreur du sport, que son père avait soigneusement cultivée en lui! S'il s'est trouvé amené pendant la guerre à courir un cross country de 9 km - sa première course- ,à Zlin,la ville de l'usine Bata où il travaillait, c'est un peu contraint et forcé: Heydrich , celui qu'on appelle "le boucher de Prague" en fermant les universités et les écoles, pensaient que le meilleur moyen de "re-germaniser" les Tchèques était la compétition sportive...
Le doux Zatopek qui n'y était pas allé de gaieté de coeur, finira par prendre goût à la course à pied...