jeudi 7 juillet 2011

Yveline


Une dernière fois,  avant la prochaine rentrée scolaire, je suis passée devant cette maison de repos pour profs : La Verrière. Une maison de santé pour soigner leur déprime au mieux, leurs troubles mentaux au pire. Je ne sais trop pourquoi. Ce n'est pas la route la plus courte. Pour jeter encore un coup d'oeil à travers la grille, et apercevoir au bout d'une allée soignée, bordée de cyprès taillés en pointe et de pelouses proprettes un bâtiment qui décidément ne me dit rien? Pourtant, le visage d'Yveline, je l'ai toujours en tête. Son sourire aussi. Elle est éternelle cette fille, elle ne vieillit pas.

Il m'aura fallu des semaines et des semaines pour associer le nom de cet établissement connu dans les  salles de profs au doux et rare prénom d'Yveline. Je n'avais fait aucun rapprochement jusque-là.  La première fois que je suis passée devant, je ramenais un élève chez lui. Il m'avait dit que sa mère travaillait ici,  en désignant le portail, comme standardiste et que c'était une maison pour les profs qui "avaient des problèmes dans leur tête". J'avais enregistré l'information et  découvert que ce chemin-là me menait aussi à la N10. J'étais plutôt contente de découvrir un nouvel itinéraire. Je suis passée derrière la gare, aussi, et rien n'a surgi. Rien et pourtant ces lieux, gare et établissement de santé, renvoient à une douleur toujours présente . Une culpabilité en plus.  Ce refoulement ferait les délices et la fortune d'un psychiatre.

Yveline, je l'ai connue à la fac. Fille sauvage sous ses airs sages. Mystérieuse, tout comme son prénom que j'entendais pour la première fois. Un prénom à la fois doux et cristallin. Petite, brune, chevelure dense et crépue, yeux charbon pétillants d'intelligence et de malice. Nous suivions les mêmes cours de préparation au Capes: toutes les deux, nous avions un goût plus prononcé pour la littérature que pour les langues anciennes. Nous sommes devenues amies, partageant nos lectures, des séances de cinéma et de travail. A la première épreuve du Capes - la dissertation, où elle excellait- elle est partie désespérée au bout de trois quarts d'heure. J'ai réussi à la suivre pour savoir ce qui se passait: elle m'a expliqué en pleurs qu'elle ne comprenait rien au sujet, qu'elle avait essayé d'écrire, mais qu'elle ne savait plus écrire une seule phrase...  Je ne comprenais rien, moi non plus.

L'été, elle m'a téléphoné pour me consoler: mon admissibilité ne m'avait pas donné l'admission.  Prise par la préparation de mon oral, je n'avais pas repris de ses nouvelles: elle était repartie chez ses parents, pour se reposer. Elle devait aller faire un court séjour dans un établissement psychiatrique, un établissement pour schizophrènes, d'après ce qu'elle croyait.

Elle en revint à la rentrée mais trois semaines à peine après nos retrouvailles studieuses  - nous avions formé un groupe de travail de  trois - elle rechuta.  Ses parents la firent hospitaliser au CHU de Caen en attendant une place dans un établissement  plus approprié. Denis et moi , nous allâmes souvent la voir. Elle perdait chaque jour un peu plus son joli sourire: elle s'ennuyait: elle ne pouvait pas lire, elle ne pouvait pas suivre une émission de radio ou de télévision. C'est à peine si elle comprenait ce que lui disaient les médecins. Cette jeune intellectuelle fine, cultivée et d'une extrême réserve sombrait corps et âme.

Le choix de l'établissement fut une source de conflit avec ses parents- le père était médecin. Ils voulaient qu'elle reparte dans l'établissement d'où elle venait. Yveline refusa et proposa sur la bonne foi de nos renseignements la maison de La Verrière. Une de nos profs, en qui nous avions toute confiance avait suggéré ce nom: c'était un établissement spécialisé puisqu'il traitait essentiellement le personnel enseignant.

à suivre...                                                                                                         

4 commentaires:

Calyste a dit…

Pourquoi cette culpabilité? Tu le diras sans doute plus tard. J'ai découvert, face à mon ami d'enfance qui a fini par se suicider et face au mal-être de Pierre pendant des années que ce ne sont pas les êtres les plus proches qui sont le plus à même d'aider efficacement leurs amis. Se contenter d'être là, à partager la souffrance sans pouvoir l'alléger, être à l'écoute si l'autre veut ou peut parler, que pouvons-nous faire d'autre?

Christine a dit…

Oui culpabilité, je ne vois pas d'autre terme. Cela a été l'objet d'une "entreprise", distillée soigneusement dans ma caboche. Je vis avec, sans effondrement sans remise en cause. Avec une certaine rage aussi. Comment pouvais-je faire autrement ?

Pour l'essentiel de ton message, je suis bien d'accord avec toi.

Flocon a dit…

"Une culpabilité en plus. Ce refoulement ferait les délices et la fortune d'un psychiatre."

Sauf erreur il me semble que culpabilité et refoulement ressortent plutôt de la psychanalyse que de la psychiatrie qui traite plutôt des cas lourds et socialement hautement handicapants.

Je veux croire que vous n'en êtes pas là Christine...

Par ailleurs la fin de l'année scolaire paraît être l'occasion de vous remettre aux joies et aux peines du blogging.

Bon courage alors et que mille et un billets s'épanouissent sous votre plume légère (dit-il, lyrique).

Christine a dit…

Oui sans doute, Flocon... cela relève de la psychanalyse. Je me suis emballée! Faut dire que ce billet n'est pas très léger. Une rude façon de me remettre dans le bain du blog.
Au fond, on vous relisant, je suis peut-être bien "socialement hautement handicapante". Je ris!

L'incise "dit-il" me plaît bien.