"Ce livre est licencieux..." Dans sa préface à la deuxième édition des Contes et Nouvelles en 1665 , La Fontaine en convient lui-même pour se garantir de la critique qu'on peut lui faire. Le genre du conte l'impose, dit-il alors, et cela doit suffire.
Dix ans plus tard, en butte aux mêmes critiques et à la manière des leçons de Boileau , il écrit:
Qui pense finement et s'exprime avec grâce,
Fait tout passer car tout passe.
(Le Tableau, livre IV des Contes)
Un siècle plus tard, alors que la fortune des Contes est à son comble mais que le siècle des galanteries touche à sa fin, Fragonard compose 57 dessins pour illustrer ces textes que renia pourtant La Fontaine, sur son lit de mort. Ces dessins sans doute commandés par un mécène désireux de posséder un exemplaire unique seront repris plus tard par Fragonard pour être traduits en gravure. Un amateur inconnu fait ensuite monter les dessins dans deux grands volumes manuscrits, ornés et richement reliés, et le chef d'oeuvre est alors soustrait définitivement au public.
Au XIXème, le manuscrit des Contes de La Fontaine, illustré par Fragonard est un ouvrage fabuleux dont on parle beaucoup mais que peu d'initiés ont la chance d'admirer. Passé de main en main, il devient "le plus beau livre du monde". Salué par une presse abondante et polémique, l'ouvrage entre dans les collections du musée du Petit Palais en 1934.
Voici un de ces contes, extrait du Livre II
L'anneau de Hans Carvel
Conte tiré de R ***
Hans Carvel prit sur ses vieux ans Eût voulu souvent être mort.
Femme jeune en toute manière: Il eut pourtant dans son martyre
Il prit aussi soucis cuisants; Quelques moments de réconfort:
Car l'un sans l'autre ne va guère. L'histoire en est très véritable.
Babeau (c'est la jeune femelle), Une nuit, qu'ayant tenu table,
Fille du bailli Concordat Et bu force bon vin nouveau,
Fut du bon poil, ardente, et belle, Carvel ronflait près de Babeau,
Et propre à l'amoureux combat. Il lui fut avis que le diable
Carvel, craignant de sa nature Lui mettait au doigt un anneau;
Le cocuage et les railleurs, Qu'il lui disoit: "Je sais la peine
Alléguait à la créature Qui te tourmente et qui te gêne;
Et la Légende, et l'Ecriture, Carvel, j'ai pitié de ton cas:
Et tous les livres les meilleurs: Tiens cette bague, et ne la lâches.
Blâmait les visites secrètes, Car, tandis qu'au doigt tu l'auras,
Frondait l'attirail des coquettes; Ce que tu crains point ne seras,
Femme jeune en toute manière: Il eut pourtant dans son martyre
Il prit aussi soucis cuisants; Quelques moments de réconfort:
Car l'un sans l'autre ne va guère. L'histoire en est très véritable.
Babeau (c'est la jeune femelle), Une nuit, qu'ayant tenu table,
Fille du bailli Concordat Et bu force bon vin nouveau,
Fut du bon poil, ardente, et belle, Carvel ronflait près de Babeau,
Et propre à l'amoureux combat. Il lui fut avis que le diable
Carvel, craignant de sa nature Lui mettait au doigt un anneau;
Le cocuage et les railleurs, Qu'il lui disoit: "Je sais la peine
Alléguait à la créature Qui te tourmente et qui te gêne;
Et la Légende, et l'Ecriture, Carvel, j'ai pitié de ton cas:
Et tous les livres les meilleurs: Tiens cette bague, et ne la lâches.
Blâmait les visites secrètes, Car, tandis qu'au doigt tu l'auras,
Frondait l'attirail des coquettes; Ce que tu crains point ne seras,
Et contre un monde de recettes, Point ne seras sans que le saches
Et de moyens de plaire aux yeux, - Trop ne puis vous remercier,Invectivait de tout son mieux. Dit Carvel; la faveur est grande.
A tous ces discours la galande Monsieur Satan, Dieu vous le rende,
Ne s'arrêtait aucunement; Grand merci, Monsieur l'aumônier!"
Et de sermons n'était friande Là-dessus achevant son somme,
A moins qu'ils fussent d'un amant. Et les yeux encore aggravés,
Cela faisait que le bon sire Il se trouva que le bon homme
Ne savait tantôt plus qu'y dire, Avait le doigt où vous savez.
2 commentaires:
Du X comme ça, on en redemande ! Comme le dit le bon vieux Jean, élégance et grâce sont au rendez-vous et " ça passe " !
De toutes façons, tout est de la faute du diable, alors...
Effectivement Claire, le X n'avait rien de graveleux. Et, en plus, Carvel implore Dieu pour l'âme de Satan.
La Fontaine a dû s'amuser comme un fou à écrire ces contes.
Contente de vous voir ici. Passez un bel été!
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