Dans A la recherche du temps perdu, Marcel Proust évoque la vieille marquise de Villeparisis qui raconte ses souvenirs au jeune narrateur : parmi les écrivains que son père recevait, Chateaubriand.
" Vous me citez une grande phrase de Chateaubriand sur le clair de lune, lui disait Mme de Villeparisis. Vous allez voir que j'ai mes raisons pour y être réfractaire. M. de Chateaubriand venait bien souvent chez mon père. Il était du reste simple et amusant, mais dès qu'il y avait du monde il se mettait à poser et devenait ridicule ; devant mon père, il prétendait avoir jeté sa démission à la tête du roi et dirigé le conclave, oubliant que mon père avait été chargé par lui de supplier le roi de le reprendre, et l'avait entendu faire sur l'élection du pape les pronostics les plus insensés. Il fallait entendre sur ce fameux conclave M. de Blacas, qui était un autre homme que M. de Chateaubriand. Quant aux phrases de celui-ci sur le clair de lune, elles étaient tout simplement devenues une charge à la maison. Chaque fois qu'il faisait clair de lune autour du château, s'il y avait quelque invité nouveau, on lui conseillait d'emmener M. de Chateaubriand prendre l'air après le dîner. Quand ils revenaient, mon père ne manquait pas de prendre à part l'invité ; " M. de Chateaubriand a été bien éloquent ? - Oh ! oui. - Il vous a parlé du clair de lune. - Oui, comment savez-vous ? - Attendez, ne vous a-t-il pas dit, et il lui citait la phrase. - Oui, mais par quel mystère ? - Et il vous a même parlé du clair de lune dans la campagne romaine. - Mais vous êtes sorcier. " Mon père n'était pas sorcier, mais M. de Chateaubriand se contentait de servir toujours un même morceau tout préparé."
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, II, 1918
Depuis bientôt un mois, j'ai laissé la pente douce...suspendue. J'ai dû et je dois -car l'entreprise n'est pas achevée- "remonter" tous mes classiques : je lagarde-michardise, je mittérandise, à qui mieux mieux. Même pas dégoûtée, simplement amusée (ou révoltée) par certaines analyses. Mais les textes résistent.
Seule joie dans cette tâche : je relie, renoue, redécouvre, revois, relis, revis (?) cette littérature que décidément j'ai eu cent mille fois raison de choisir et dont je tente de transmettre ma passion à de jeunes esprits qui me surprennent toujours.
La suite ... et le dénouement, dans très peu de temps, maintenant. Excusez ma si longue absence même si la jeune Alma continue d'intéresser des passants. Et c'est tant mieux !
6 commentaires:
Eh bien avec "La pente douce" ce n'est jamais le même morceau tout préparé!
Bravo! (avec un grand merci à Marcel, une fois de plus).
Je transmettrai à Marcel le compliment. Mais si François-René n'avait pas existé, la petite madeleine n'aurait jamais peut-être existé (enfin quand je dis "existé", vous me comprenez ?).
Entre nous, il y a des "morceaux préparés" de Chacha que je voudrais bien servir parfois.
Merci Pierre!
Sommes d'une patience toute bienveillante, Christine.
Oui, vous êtes toutes et tous des commentateurs/trices en or ! Quand j'ai débuté ce blog, je savais que je ne pourrais pas tenir une cadence "infernale". Je sais combien cela peut devenir un poids...
Mais là, je dois dire, j'ai abusé de votre bienveillance. Et cela ne va pas s'arranger dans les prochains jours. Je pars avec des élèves latinistes dans votre Sud, Chri, fin de semaine prochaine.
Merci,
J'avais oublié ce passage. Toujours agréable de commencer sa journée en lisant Proust.
Proust vous fait toujours bien démarrer une journée, c'est vrai; on peut en faire son miel pendant des heures. Merci Anonyme de passer ici...
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