jeudi 21 juillet 2011

X , y ou les inconnu(e)s d'Incendies

A Anna F.

« Pour résoudre une équation, il est inutile de commencer par vouloir déterminer les inconnues. »

Cette  phrase, tirée du film Incendies, du Québecois Denis Villeneuve, sorti en janvier 2011 en France, est le conseil que donne un professeur de maths à son assistante qui vient d'apprendre -elle et son frère- par le testament de leur mère, qu'ils ont un père -ils le croyaient mort- et un frère, dont ils ignoraient l'existence. Pour exécuter ses dernières volontés et avoir un enterrement décent, cette femme fait remettre par son notaire deux lettres à ses deux enfants: la première, adressée au père, devra être remise en main propre par sa fille à son destinataire, la seconde adressée au frère, devra  l'être aussi dans les mêmes conditions, par le fils cette fois-ci. Si ce dernier refuse de se plier aux caprices d'une mère devenue folle et mutique dans les derniers moments de sa vie, la fille, elle, veut absolument découvrir ses deux inconnus, devenus dans la bouche du prof de maths les inconnues d'une drôle d'équation: Jeanne quitte donc son Canada d'adoption et s'envole, munie d'une photo de sa mère jeune et d'une petite croix lui ayant appartenu, pour le Moyen Orient , dans un pays jamais cité -le Liban probablement mais après tout ce pourrait en être un autre- , un pays coupé entre le nord et le sud, les réfugiés et les nationalistes,  les chrétiens et les musulmans...

Cette quête douloureuse, chargée de très fortes émotions prend les allures d'une odyssée homérique: Jeanne entreprend un long voyage dans le pays de sa mère, toujours blessé à vif, elle surmonte les épreuves, découvre le passé terrible de sa mère, une femme qui a le visage d'une héroïne de tragédie grecque.  L'horreur l'attend, attend son frère aussi et nous, les spectateurs! Nous devons savoir, nous aussi, mais le réalisateur ménage notre liberté de reconstruire nous mêmes les morceaux de cette histoire complexe et terriblement humaine. 

La scène inaugurale des enfants-soldats portée par la musique de Radiohead -You and Whose Army- est magistrale et nous sommes d'entrée de jeu complètement déroutés. Au fur et à mesure des scènes, nous percevons l'intensité dramatique et sommes aux aguets du moindre indice. Le temps se bouscule: est-on dans un avant , un après la scène testamentaire? Qu'allons-nous découvrir? Où veut nous mener le réalisateur? Grâce à une construction narrative parfaitement maîtrisée, à des flash-back qui bornent  notre réflexion et mêle les itinéraires de la mère, puis de ses enfants à l'Histoire d'un pays toujours blessé à vif après quarante ans de guerre, le film dégage une puissance absolument inouïe. Rien n'est en trop dans ce film: pas de bons sentiments, pas de charges émotives exagérées, pas d'opacité intellectuelle. Une universalité, une dénonciation radicale de la guerre, un perte des repères; pourquoi cette violence, qui est victime, qui est bourreau?


Les acteurs sont excellents, c'est très bien filmé et  le scénario, très écrit est d'une très grande qualité. D'une grande puissance. Dans la salle où j'ai vu le film, nous sommes tous restés collés à nos sièges jusqu'à la fin du générique. Pas un bruit. Complètement estomaqués. Incapables de reprendre le cours des choses, de nos vies. Il nous a fallu à tous un temps de réadaptation. C'est tellement fort! Voilà bien longtemps que je n'ai éprouvé un tel choc cinématographique.J'en suis sortie "brûlée".

Ce film, Villeneuve l'a adapté d'une pièce de théâtre de Wajdi Mouawad, auteur de théâtre québecois d'origine libanaise.  La tétralogie Le Sang des promesses à laquelle  appartient Incendies, a été reconnue comme une des pièces majeures du théâtre contemporain. L'oeuvre cinématographique est passée inaperçue ou presque, en France. Elle a été mal distribuée...C'est Anna F. qui m'en avait dit le plus grand bien dans un de ses messages. Elle en parlait avec tant d'enthousiasme et regrettait tellement que ce film pourtant largement récompensé ailleurs, n'ait pas eu en France la carrière qu'il méritait, que je m'étais bien jurée de profiter des vacances pour aller le voir quelque part à Paris. C'est désormais chose faite :  merci Anna! Sans toi j'aurais raté un grand moment.

Pour savoir s'il passe à encore dans votre ville, tapez sur un moteur de recherche Incendies Cinéma +le nom de votre ville. C'est un film à ne pas manquer. Vraiment.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Très émue ce soir de te "rencontrer" à travers ce film. C'est une bel échange que de t'en parler, et lire ensuite ton billet. Merci à toi. C'est comme un "lien" invisible, virtuel certes, mais un lien quand même. Enfin, je le ressens comme ça. Aucun film ne m'a jamais autant troublée, aucun. Même si il y a quelques années, j'avais mis plusieurs jours à "intégrer" "Le baiser de la femme araignée" d'Hector Babenco, tiré du livre de Manuel Puig, que je viens de relire. Et il y a quelques mois, "El Secreto de sus ojas", "Dans ses yeux" (titre de la version française), film argentin de Juan Campanella qui m'a fait trembler. Oui ce soir, je suis heureuse de partager un grand moment avec toi. Anna.

Calyste a dit…

Quel hommage (double, et, en plus, pas de n'importe qui)! Je vais vite me renseigner pour savoir s'il passe sur Lyon.
Moi,ma dernière expérience forte au cinéma, ça a été Biutiful, de Alejandro Gonzalez Inarritu, avec Javier Bardem. J'en suis ressorti assommé!

Christine a dit…

Oui, Anna, un lien invisible mais fort! Je suis contente d'avoir vu ce film et de l'avoir partagé aussi, grâce à toi. Tu avais trouvé les mots pour parler de ce film ! Je pense souvent à Jeanne, Simon et Marwan...


J'ai vu moi aussi l'an passé, en juillet - un mois faste- ce très beau film, Dans tes yeux. Malgré les mois qui ont passé, je me souviens très bien de cette histoire. C'est le signe , pour moi, que ce film était bon. Plus je vieillis et plus je suis persuadée que la qualité d'un scénario fait en grand partie la force d'un film. Après, s'il y a aussi, un art de filmer et une interprétation juste, alors là, on touche au chef d'oeuvre.

Oui, Calyste, il y a une séance dimanche à Lyon (à 20h La Fourmi). Il passe aussi encore à Paris, à Caen... mais dans des salles Art et Essai, alors qu'il mériterait une seconde chance dans les salles "commerciales". La Séparation est toujours à l'affiche et c'est tant mieux, mais ce film ne m'a pas renversée.
Le cinéma québecois est en général remarquable. Vous rappelez-vous Les Invasions barbares de Denys Arcand?

Calyste a dit…

Ce film d'Arcand m'avait bouleversé de même que le premier, avec les mêmes personnages, quelques années plus tôt. Je crois que le titre en était: La chute de l'empire américain. Je ne peux plus le revoir aujourd'hui, après la mort de Pierre.

Anna F. a dit…

Nous sommes loin du X, mais si près les uns des autres ici ... c'est assez fort je trouve.
Juste pour parler de "La séparation". Il aurait pu s'appeler "Mensonges". Mensonge dans le couple, mensonge avec les enfants, mensonge avec ses amies, mensonge en général, avec toutes ses conséquences ... Belle journée.